1. Responsabilité civile professionnelle

Point de départ de l’action en responsabilité contre le notaire : Cass. civ. 1ère, 29 juin 2022, n° 21-10.720

Un expert-comptable propose à l’exploitant d’un fonds de commerce un montage juridique permettant de le céder sans être imposé au titre des plus-values. Un notaire participe à l’acte de cession.

L’administration fiscal notifie à l’exploitant-cédant un redressement au titre de l’imposition des plus-values et un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la demande de l’exploitant tendant à faire reconnaître son droit à l’exonération.

Une cour d’appel déclare l’action en responsabilité contre le notaire irrecevable en prenant pour point de départ du délai de prescription le moment de la notification du redressement fiscal par l’administration.

La Cour de cassation censure la décision en considérant que le dommage ne s’étant réalisé qu’à la date de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel, celle-ci constitue le point de départ du délai de prescription quinquennal prévu à l’article 2224 du code civil.

Responsabilité du notaire – devoir de conseil : Cass. civ. 1ère, 15 juin 2022, n° 20-20.010

Le notaire qui sollicite de l’acquéreur le versement du prix de vente sans s’être assuré auprès de la banque que l’état de la créance hypothécaire ne ferait pas obstacle à la réalisation de l’opération engage sa responsabilité civile professionnelle.

Bien que la vente n’ait pas été conclue, le notaire doit indemniser l’acquéreur des frais avancés à perte.

 

 

 

 

 

  1. Droit patrimonial de la famille 

 

  1. Successions et libéralités

Évaluation de l’indemnité de réduction en l’absence d’indivision : Cass. civ. 1ère, 22 juin 2022, n° 21-10.570

Aux termes de l’article 942-2 du code civil, le montant de l’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués à l’époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.

En l’absence d’indivision entre le bénéficiaire de la libéralité et l’héritier réservataire et, par conséquent, en l’absence de partage, le montant de l’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués à l’époque de sa liquidation ou de leur aliénation par le gratifié.

Viole l’article 924-2 du code civil la cour d’appel qui retient qu’en l’absence d’indivision et donc de partage, le légataire universel détient la propriété des biens légués à la date du décès, qui est celle de la jouissance divise, de sorte que c’est à cette date que l’indemnité de réduction est due au réservataire et doit donc être liquidée.

En conséquence l’expert désigné aura pour mission de déterminer la valeur des biens donnés ou légués à la date la plus proche du paiement de l’indemnité de réduction.

Récupération sur succession de l’aide sociale à l’hébergement : cas du versement direct de l’aide à l’hôpital : Cass. civ. 2ème, 7 juillet 2022, n° 21-13.527

Il appartient au conseil départemental d’adopter un règlement départemental d’aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d’aide sociale relevant du département (art. L. 121-3 CASF). Il peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements (art. L. 121-4 CASF).

La Cour de cassation précise qu’il ne lui est pas interdit d’organiser dans ce règlement des modalités particulières de versement de l’aide sociale destinées à en assurer l’effectivité, telles que son versement direct à l’établissement d’accueil de la personne âgée.

Ainsi le département qui, conformément au règlement départemental d’aide social a, agissant dans l’intérêt exclusif et pour le compte du bénéficiaire de l’aide sociale, pris en charge la totalité des frais de séjour de celui-ci, sans déduction de sa participation, est en droit d’en réclamer le remboursement à sa succession conformément au droit commun des obligations, en même temps qu’il exerce, en application de l’article L. 132-8 CASF, l’action en récupération de l’aide sociale accordée.

Protection du logement familial : donation avec réserve d’usufruit par l’un des époux : Cass. civ. 22 mai 2019, n° 18-16.666

Durant un mariage un époux fait donation à ses deux enfants issus d’un premier mariage de la nue-propriété de biens immobiliers dont l’un constitue le logement de la famille avec réserve d’usufruit à son profit.

Suite à son décès, la veuve assigne les enfants en annulation de la donation, celle-ci n’y ayant pas consenti.

La Cour de cassation rappelle que si les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, cette règle qui procède de l’obligation de communauté de vie des époux, ne protège le logement de la famille que pendant le mariage.

Qu’ainsi, en l’espèce, la donation qui n’a pas porté atteinte à l’usage et à la jouissance du logement familial par l’épouse durant le mariage ne peut être annulée.

  1. Régimes matrimoniaux

Créances entre époux séparés de biens – distinction de la créance au titre des dépenses d’acquisition de la créance au titre des dépenses d’amélioration : Cass. civ. 1ère, 22 juin 2022, n° 20-20.202

Lorsqu’un époux a participé, par ses fonds, à l’acquisition et à l’amélioration d’un bien personnel de l’autre, la Cour de cassation considère qu’il détient deux créances qui sont évaluées différemment.

La créance d’acquisition s’apprécie en établissant la proportion de la contribution de l’époux au paiement du coût global de l’acquisition puis en l’appliquant à la valeur du bien au jour de la liquidation de la créance selon son état lors de l’acquisition.

La créance d’amélioration quant à elle se calcule en établissant la proportion de la contribution de l’époux au paiement des travaux puis en l’appliquant à la différence existante entre la valeur au jour de la liquidation du bien amélioré et celle qui aurait été la sienne avant les travaux.

  1. Contrats

 

  1. Ventes

Qui décide de la cession de parties communes spéciales et des conséquences qu’elle implique ? Cass. civ ; 3ème, 1er juin 2022, n° 21-16.232

Lors de l’assemblée générale des copropriétaires, appelée à se prononcer sur la cession de parties communes spéciales, seuls les copropriétaires, propriétaires de celles-ci, peuvent décider de leur aliénation.

Doit être sanctionné l’arrêt qui retient d’abord que la cession de la partie d’un couloir commun, qui a été votée à la condition préalable de l’adoption d’un projet modificatif de l’état descriptif de division et du règlement de copropriété, emporte création d’un lot auquel sont nécessairement affectées une quote-part des parties communes spéciales et une quote-part des parties communes générales, en sorte que la modification du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division qu’elle implique relève de l’approbation de l’ensemble de la collectivité.

Qui ajoute ensuite que la distinction entre la cession relevant des seuls copropriétaires du bâtiment concerné et la modification de l’état descriptif de division relevant de la copropriété toute entière consisterait à confier à une assemblée restreinte le principe de la cession et ses conséquence à l’assemblée générale alors que cette distinction, qui ne résulte d’aucune disposition légale ou réglementaire, fait dépendre le vote de l’assemblée générale de la décision de l’assemblée restreinte.

Et qui en déduit finalement que la cession des parties communes spéciales devait être soumise à l’approbation de l’ensemble des copropriétaires.

Vendeur professionnel – absence d’exonération de garantie contre les vices cachés : Cass. civ. 3ème, 15 juin 2022, n° 21-21.143

La Cour de cassation rappelle que le vendeur – entrepreneur en maçonnerie – qui a réalisé lui-même les travaux de réhabilitation du bien vendu doit être assimilé à un vendeur professionnel, réputé connaître les vices affectant l’immeuble, y compris le sol.

En conséquence la clause exonératoire de responsabilité au titre de la garantie contre les vices cachés doit être écartée.

  1. Baux

 

  1. Baux commerciaux

Exclusion du droit de préemption du locataire commercial en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts : Cass. civ. 29 juin 2022, n° 21-16.452 (confirmation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mars 2021 présent dans la veille du 4 juillet).

En l’espèce selon une promesse de vente une propriétaire s’est engagée à vendre plusieurs lots distincts, deux boutiques louées ainsi qu’un appartement et trois caves situés dans le même immeuble.

Les deux locataires se sont prévalus du droit de préemption de l’article L. 146-46-1 du code de commerce mais la vente a été réitérée au profit d’un tiers.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que le droit de préemption du locataire commercial était exclu dès lors que la vente litigieuse portait sur des locaux commerciaux donnés à bail à des preneurs distincts, peu importe que les locaux étaient situés dans le même immeuble et que la vente ait également porté sur un lot à usage d’habitation et des caves.

Bail commercial et covid-19 : conséquences pour les locataires.

Par trois arrêts rendus le même jour, la Cour de cassation a répondu à plusieurs questions indiquées dans un rapport publié le 16 juin 2022 : 

Les mesures prises par les autorités publiques écartent-elles le droit commun de la relation contractuelle ?

L’interdiction de recevoir du public constitue-t-elle :

  • Un cas de force majeur invocable par le locataire ?
  • Un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que le locataire se prévale du mécanisme de l’exception d’inexécution ?
  • Une perte de la chose louée, au sens de l’article 1722 du code civil, permettant au locataire de solliciter une réduction du montant des loyers dus ?

Cass. civ. 3ème, 30 juin 2022, n° 21-20.127 a considéré que l’effet de la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public est sans lien avec la destination contractuelle du local loué et ne peut être d’une part imputable aux bailleurs, auxquels on ne peut dès lors reprocher un manquement à leur obligation de délivrance, d’autre part assimilé à la perte de la chose au sens de l’article 1722 du code civil.

Ainsi, dès lors que ces restrictions n’étaient pas imputables au bailleur, ni n’emportaient la perte de la chose louée, les juges du référé ne peuvent qu’en déduire que l’obligation de payer le loyer n’est pas sérieusement contestable.

Cass. civ. 3ème, 30 juin 2022, n° 21-20.190 reprend le rejet de la qualification de perte de la chose (1e et 2e branches) ainsi que celle d’inexécution de l’obligation de délivrance (3e branche). Elle précise en outre (3e branche) que le preneur, débiteur des loyers, ne peut invoquer à son profit la force majeure dès lors que bien qu’étant dans l’impossibilité d’exploiter les lieux conformément à la destination prévue au contrat, il n’était pas dans l’impossibilité d’exécuter son obligation de payer le loyer.

Cass. civ. 3ème, 30 juin 2022, n° 21-19.889 reprenant les qualifications précitées rejette en conséquence la demande du locataire tenant à une réduction du montant des loyers dus.

 

 

  1. Baux à construction

Droit de préemption urbain et bail à construction – paralysation du droit de préemption : CE, 1ère et 4ème chambres réunies, 19 avril 2022, n° 442150.

Le fait qu’une parcelle soit grevée d’un bail à construction ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de préemption lorsqu’elle fait l’objet d’une aliénation soumise au droit de préemption.

Toutefois, lorsque la préemption est exercée à l’occasion de la levée, par le preneur, de l’option stipulée au contrat de bail à construction lui permettant d’accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail, elle a pour effet de transmettre à l’autorité préemptrice la qualité de bailleur.

L’autorité publique, bailleresse, est dès lors soumise aux obligations attachées à cette qualité, parmi lesquelles celle d’exécuter cette promesse de vente.

Par conséquent la préemption ainsi exercée ne peut permettre de satisfaire à la nécessité légale (art. L. 210-1 c. urb.) d’être exercée en vue de la réalisation d’une action ou opération d’aménagement ou de la constitution d’une réserve foncière pour la réalisation d’une telle opération.

Il en résulte que la décision de préempter un bien grevée d’un bail à construction obligeant à exécuter l’option d’achat stipulé dans le contrat de bail et qui méconnait, en conséquence, les dispositions du code de l’urbanisme est sujette à un doute sérieux quant à sa légalité.

  1. Baux d’habitation

Logement de fonction : un bien déclassé du domaine public est soumis à la loi de 1989 : Cass. civ. 3ème, 6 juillet 2022, n° 21-18.450

En l’espèce un agent de la poste conclu avec cette dernière une convention d’occupation précaire d’un logement stipulant que la location prendra automatiquement fin en cas de cessation de ses fonctions administratives.

Lors de l’occupation, le logement fait l’objet d’un déclassement du domaine public de l’état.

L’agent titulaire part à la retraite et cesse ses fonctions mais demeure dans le logement, la poste souhaite alors se prévaloir de la clause résolutoire initialement stipulée pour demander son expulsion ainsi qu’une indemnité d’occupation. La cour d’appel accède à cette demande en appliquant les stipulations du contrat.

La Cour de cassation considère quant à elle qu’il résulte du caractère d’ordre public de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 que dès le déclassement d’un bien du domaine public, sa location à usage d’habitation à titre de résidence principale, est soumise aux dispositions de cette loi.

En conséquence, la validité d’une convention qui y déroge est conditionnée à l’existence de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties autres que celles résultant de la seule domanialité du bien, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

  1. Droit immobilier

 

  1. Occupation du domaine public

L’occupant (non propriétaire) d’un ouvrage irrégulièrement implanté sur le domaine public peut être condamné à la remise en état : CE, 8e et 3e chambres réunies, 31 mai 2022, n° 457886

L’article L. 2132-3 CG3P prévoit que nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de démolition, de confiscation des matériaux ou d’amende.

Ce texte permet aux autorités chargées de la protection du domaine public maritime d’ordonner à celui qui l’a édifié ou, à défaut, à la personne qui en a la garde, la démolition d’un ouvrage irrégulièrement implanté sur celui-ci.

Le gardien est défini comme celui qui, en ayant la maîtrise effective, se comporte comme s’il en était le propriétaire.

En l’espèce la société qui a la jouissance des installations en cause, situées en contrebas de sa propriété, qui en a l’usage exclusif, des panneaux interdisant l’accès aux piétons apposés à proximité du seul chemin permettant au public d’y accéder, qui a, comme l’ancien propriétaire demandé à occuper la dépendance sur laquelle elles sont construites et qui s’est elle-même acquittée d’indemnités pour occupation sans droit ni titre de cette dépendance, se comporte à l’égard des installations en cause comme leur propriétaire et doit être considérée comme leur gardien.

  1. Copropriété

Revirement de jurisprudence sur les modalités de calcul de la majorité requise pour la modification des documents du lotissement : CE, 6e et 5e chambres réunies, 22 juin 2022, n° 443808

L’art. L. 442-10 du code de l’urbanisme prévoit que « lorsque la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d’un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie le demandent ou l’acceptent, l’autorité compétente peut prononcer la modification de tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé. ».

Auparavant un arrêt du CE du 28 février 1996, n° 105846 SCI Tennis Park avait considéré que lorsque le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et d’immeubles collectifs en copropriété et comporte des lots affectés à d’autres usages que l’habitation il y a lieu :

  • D’une part, de compter pour une unité l’avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre de lots qu’il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire.
  • D’autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies des lotissements détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction d’habitation, à l’exclusion, par conséquent, des surfaces des lots affectés à d’autres usages.

Désormais, l’arrêt rendu par le CE le 22 juin 2022 considère que dans le cas où le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, et comporte des lots affectés à d’autres usages que l’habitation il y a lieu :

  • D’une part, de compter pour une unité l’avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu’il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire.
  • D’autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu’il s’agisse de lots destinés à la construction d’habitation ou à d’autres constructions, à l’exclusion des surfaces des lots affectés à d’autres usages.

 

 

Vous ne pouvez pas copier le contenu de cette page.