Jurisprudences :

Qualification des stocks options de biens propres ou communs : Cass. civ. 1ère, 25 octobre 2023, n° 21-23.139, publié

En résumé : si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage, à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée avant sa dissolution.

En l’espèce, suite au divorce d’époux mariés sous le régime de la communauté, des difficultés naissent lors des opérations de liquidation et de partage de la communauté. L’un des époux avait souscrit des stock-options et avait acheté, en exercice de ses droits, 68 actions.

La cour d’appel avait considéré que les stock-options non encore levés au jour de l’ordonnance de conciliation étaient de biens propres tandis que les actions qui avaient été levées devaient être comptabilisées dans l’actif de la communauté.

L’épouse forme un pourvoi en cassation en considérant que l’ensemble des stock-options attribués à son époux par son employeur en contrepartie de son activité, que l’option ait été ou non exercée, relevaient des gains et salaires car ils trouvaient leur cause dans l’activité professionnelle de son époux devaient être qualifiés de biens communs et devaient, en conséquence être intégrés dans l’actif de la communauté.

La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel en considérant que si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage, à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée avant sa dissolution.

En effet, d’une part l’article L. 225-183 alinéa 2 du code de commerce dispose que les droits résultants des options consenties sont incessibles jusqu’à ce que l’option ait été exercée et d’autre part l’article 1404 du code civil prévoit que forment des propres par nature les créances et pensions incessibles. Quoique cette qualification est discutée en doctrine, l’arrêt, rendu au visa de ces textes laisse entendre que ce fût le raisonnement suivi par la Cour de cassation.

Annulation des assemblées générales dans lesquelles participaient des non-associés Cass. com. 11 octobre 2023, n° 21-24.646, publié :

En résumé : Les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 223-27 du code de commerce, qui prévoient que toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée, et la règle selon laquelle le juge conserve la liberté d’appréciation de l’opportunité d’une telle annulation concernent l’hypothèse d’une irrégularité de convocation de l’assemblée générale et n’ont pas vocation à s’appliquer lorsque l’annulation est sollicitée, non pas parce que l’assemblée a été irrégulièrement convoquée, mais parce qu’elle a été tenue avec une personne n’ayant pas la qualité d’associé.

 

En l’espèce, le 22 juin 1992, M. G et sa mère, Mme KD, ont constitué à parts égales la société à responsabilité limitée Musée hôtel Baudy, chacun détenant deux cent cinquante parts.

Par deux actes du 11 mars 1998, M. M et son épouse Mme S se sont portés acquéreurs de l’intégralité des parts de Mme KD et par deux actes du même jour, M. G a cédé deux cents parts à Mme IM et Mme V.

Mme KD est décédée le 4 septembre 2010, en laissant pour lui succéder ses deux enfants, M. G et Mme X.

Cette dernière, soutenant qu’elle avait appris à l’ouverture de la succession de sa mère, que les parts de celle-ci détenait dans le capital de la société Musée hôtel Baudy ne faisaient plus partie du patrimoine successoral et contestant que celle-ci ait signé les actes de cession, a assigné M. M et son épouse Mme S en annulation de ces actes pour faux et en réintégration des parts de l’actif successoral.

M. G est intervenu volontairement à l’instance et s’est associé à cette action.

Ce dernier a assigné la société Musée hôtel Baudy en annulation de toutes les assemblées générales ordinaires annuelles tenues entre les mois de mars 1998 et juin 2012.

La société Musée hôtel Baudy, M. M et son épouse Mme S ainsi que MMe IM et Mme V reprochent à l’arrêt d’appel d’avoir prononcé l’annulation de l’ensemble des assemblées générales de la société Musée hôtel Baudy à partir de celle du 31 mai 2010.

Les demandeurs considèrent que l’annulation d’un contrat de cession portant sur des parts d’une société commerciale n’entraîne pas l’annulation en cascade de l’ensemble des délibérations votées postérieurement à la conclusion de ce contrat et que les assemblées générales tenues en présence des cessionnaires ont la nature d’assemblées irrégulièrement convoquées au sens de l’article L. 223-27 du code du commerce. Il en résulte qu’il appartient au juge d’apprécier au cas par cas s’il y a lieu de prononcer l’annulation des délibérations en tenant compte de l’intérêt social, des effets perturbateurs qui pourraient en résulter et de l’incidence du vote des cédants sur le sens des délibérations contestées.

La Cour de cassation considère quant à elle que ces dispositions ne concernent que l’hypothèse d’une irrégularité de convocation à l’assemblée générale mais qu’elles n’ont pas vocation à s’appliquer au litige.

Elle approuve en conséquence l’annulation des assemblées générales en tant qu’elle était sollicitée non en raison d’une convocation irrégulière mais parce qu’elles ont été tenues en présence de M. M et Mme. S, associés détenant la moitié du capital qui sont réputés n’avoir jamais eu cette qualité en raison de l’annulation de l’acte de cession.

Révocation unilatérale d’un mandat civil sans préavis : Cass. com. 4 octobre 2023, n° 22-15.781, publié : 

En résumé : Un mandat civil à durée indéterminée peut être révoqué à tout moment et sans que des motifs aient à être précisés, l’abus dans l’exercice de ce droit ne peut être retenu que si celui qui l’allègue prouve l’intention de nuire de son auteur ou sa légèreté blâmable.

 

En l’espèce, à partir de 1979 l’association Syndicat national du commerce de l’antiquité, de l’occasion et des galeries d’art moderne et contemporain a confié à la société DLM communication, la communication et la publicité relatives à sa foire nationale à la brocante et aux jambons du Chatou, organisée deux fois par an.

Le mandat comportait une clause d’exclusivité stipulant que le Syndicat se réserve le droit d’interrompre, sans préavis, le mandat si les termes du protocole ont été transgressés.

Le 21 novembre 2013 le syndicat a notifié à la société DLM la rupture de leurs relations estimant qu’elle avait commis trois infractions à la clause d’exclusivité et cette dernière l’a assigné en réparation de son préjudice.

La cour d’appel avait déclaré brutale la rupture des relations contractuelles car bien que la résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée peut être effectuée sans motif, un délai de préavis raisonnable doit être respecté.

Le syndicat a formé un pourvoi en considérant que ni l’absence de motifs, ni l’absence de préavis n’étaient susceptibles de conférer un caractère abusif et brutal à la révocation du mandat en présence de stipulations qui prévoyaient expressément de soustraire la rupture du contrat à un préavis.

La Cour de cassation considère qu’un mandat civil peut être révoqué par le mandant à tout moment et sans que des motifs aient été précisés, l’abus dans l’exercice de ce droit ne pouvant être retenu que si celui qui l’allègue prouve l’intention de nuire de son auteur ou sa légèreté blâmable.

Non-application de l’article 1165 du code civil aux experts-comptables : Cass. com. 20 septembre 2023, n° 21-25.386, publié

En résumé : par application de la règle selon laquelle le droit spécial déroge au droit général, l’article 1165 du code civil n’est pas applicable aux experts-comptables qui doivent, en application du décret du 30 mars 2012, passer avec leurs clients un contrat écrit précisant les droits et obligations des parties.

En l’espèce, la société Effigest, expert-comptable, a assigné la société C and B aux fins de la voir condamner à lui payer d’une part 756 euros correspondant à 3 factures émises pour des frais de domiciliation et d’autre part 2910 euros correspondant à 9 factures émises entre avril et décembre 2019 pour des interventions comptables outre la somme de 645.66 euros au titre de frais de recouvrement.

Les juges du fond avaient limité la condamnation de la société C and B à la somme de 756 euros majorés des intérêts légaux à compter du 28 janvier 2021 et 120 euros pour frais de recouvrement au motif que la société Effigest ne produisait ni tarif horaire, ni feuille du temps passé sur ces travaux, ce qui justifierait le quantum de sa facturation.

La société Effigest reproche aux juges du fond d’avoir limité la condamnation de la société C and B en estimant que les contrats en cause sont des contrats de prestation de service et qu’en application 1165 du code civil, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.

La Cour de cassation, rappelle d’abord l’article 1165 du code civil relatif à l’indétermination du prix dans les contrats de prestation de service et l’article 1105 alinéa 3 du code civil, ce dernier disposant que les règles générales relatives à la formation, l’interprétation et aux effets du contrat s’appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.

Elle vise ensuite l’article 151 al. 1er du décret du 30 mars 2012 qui prévoit que l’expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.

Elle en déduit qu’en application de l’article 1105 al. 3 du code civil, l’article 1165 du même code n’est pas applicable en raison des dispositions de l’article 151 al. 1er du décret susvisé qui oblige l’expert-comptable à déterminer le prix au stade de la formation du contrat.

L’arrêt est toutefois cassé en application de l’article 4 du code civil et de l’article 24 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 qui prévoit que les honoraires de l’expert-comptable doit constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu, les juges du fonds ayant refusé d’évaluer le montant des honoraires dus à la société Effigest alors que les prestations avaient été réalisées et que les honoraires étaient fondées en leur principe. Le juge devait ainsi en fixer le montant.

Qualification du présent d’usage : Cass. civ. 1ère, 11 mai 2023, n° 21-18.616, inédit : 

En l’espèce, Mme K est décédée le 8 octobre 2009 laissant pour lui succéder ses deux enfants, Mme P et M. E.

Des difficultés sont survenues au cours du règlement de succession.

Mme P reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté ses demandes en rapport à la succession par son frère des donations effectuées par le de cujus à son profit par virement, chèques bancaires et remises d’espèces pour un montant de 23 697 €.

La cour d’appel les avait rejetées au motif que ces sommes étaient compatibles avec les capacités financières de la donatrice et qu’elle avait ainsi pu effectuer ses versements au titre de présents d’usage puisqu’elle vivait avec son fils qui avait la charge de son entretien quotidien.

La Cour de cassation, rappelle que l’article 852 du code civil prévoit notamment que les présents d’usage sont dispensés de rapport sauf volonté contraire du disposant et que le caractère d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant.

Elle casse alors l’arrêt d’appel dès lors que les juges du fond n’avaient pas précisé à l’occasion de quels événements le de cujus avait fait de tels cadeau à son fils conformément aux usages.

Étendue des restitutions suite à la résolution d’un contrat de rente viagère : Cass. civ. 3ème, 14 sept. 2023, n° 22-13.209, publié : 

En résumé : En présence d’une clause résolutoire insérée dans un contrat de rente viagère qui stipule que seuls les arrérage versés demeurent acquis au vendeur, les juges du fond ne peuvent laisser au bénéfice du vendeur le « bouquet » et les arrérages échus et impayés au jour de la résolution sans avoir considéré qu’ils l’étaient au titre de dommages et intérêts.

En l’espèce, par acte authentique du 6 janvier 1992, un couple a vendu une maison d’habitation moyennant le prix de 1 million de francs payés comptant à hauteur de 440 000 francs, le solde ayant été converti en rente viagère d’un montant mensuel de 4300 francs.

Le service de rente ayant cessé à compter du mois d’août 2015, les vendeurs ont assigné l’ayant droit de l’acquéreur en résolution de la vente, paiement des arrérages impayés et expulsion.

L’acquéreur reproche à l’arrêt de liquider la créance des vendeurs à la somme de 28 495€ et de le condamner à la payer.

Pour liquider la créance des vendeurs à cette somme, la cour d’appel avait considéré que la rente ayant continué à courir jusqu’à l’acquisition de la clause résolution, l’acquéreur doit être condamné à payer au vendeur la somme de 830€ par mois depuis le mois d’août 2015 jusqu’à la prise d’effet du commandement visant la clause résolutoire, somme à laquelle il faut ajouter les indemnités d’occupation dues jusqu’à la libération des lieux et retrancher les arrérages versés de janvier 2012 à août 2015.

La Cour de cassation, rappelant d’une part la force obligatoire du contrat et d’autre part que la condition résolutoire entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat ainsi que des restitutions réciproques qui en constituent des conséquences légales va sanctionner ce raisonnement.

Elle considère que la cour d’appel a violé ces dispositions car elle n’avait pas ordonné la restitution du « bouquet » et avait inclus dans son calcul le paiement des arrérages échus et impayés au jour de la résolution alors qu’en l’espèce la clause résolutoire prévoyait qu’en cas de résolution, seuls les arrérages versés et les embellissements et améliorations apportés au bien demeuraient acquis au vendeur et qu’elle n’avait pas retenu que le « bouquet » et les arrérages échus et impayés étaient laissés au vendeur à titre de dommages et intérêts.

Études :

Synthèse des libres propos de Richard Crône, « Certificats de spécialisation : rendons à César ce qui appartient à César… ! », JPC N , 22 sept. 2023, n° 38. 947 :

L’auteur part du constat qu’une simple consultation des réseaux sociaux révèlent que beaucoup de notaires ignorent la législation applicable aux certificats de spécialisation. Soit qu’ils fassent état de spécialités qui n’existent pas, soit qu’ils fassent état d’une spécialité qu’ils ne possèdent pas.

Aussi cette méconnaissance peut constituer la cause d’une sanction disciplinaire ou encore de responsabilité civile.

Les textes

Le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 dans sa rédaction actuelle réglemente les certificats de spécialité aux articles 43-1 à 43-7.

L’article 43-1 prévoit que l’INFN délivre aux notaires qui en font la demande, après vérifications des conditions requises, des certificats de spécialisation dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux.

Un arrêté du 25 juin 1996 précise la liste, exhaustive, des spécialités :

  • Conseil en organisation et gestion du patrimoine ;
  • Droit de l’urbanisme et de l’environnement ;
  • Droit rural et de l’entreprise agricole ;
  • Droit de la propriété intellectuelle ;
  • Droit de l’entreprise en difficulté ;
  • Droit communautaire ;
  • Droit international privé :
  • Droit des collectivités territoriales ;
  • Droit fiscal approfondi.

L’auteur considère dès lors que les mentions de spécialité telles que « droit de la famille » ou « divorce » n’apparaissent pas dans cette liste et les notaires ne devraient pas en faire mention. Son analyse tient au fait qu’il s’agit du métier de base des notaires et non d’une spécialité à proprement parler, indépendamment des compétences spécifiques des notaires dans ces domaines.

Les conditions

Deux conditions sont requises pour obtenir une spécialité : 

  • Une pratique professionnelle de quatre années au moins dans la spécialité.
  • Un examen de contrôle de connaissances.

Il en résulte qu’un jeune créateur d’une étude notariale ne pourrait pas, sauf exceptions, faire état d’une spécialité pour défaut de la condition d’exercice de quatre années dans la spécialité, d’autant que la pratique professionnelle durant le stage de deux ans de notaire n’est pas prise en compte.

La pratique professionnelle, pour être prise en compte, doit correspondre à une durée normale de travail, avoir été rémunérée conformément aux réglementations et ne pas avoir été suspendue pendant plus de 3 mois, sauf exception admise par le conseil d’administration de l’INFN.

L’examen de contrôle de connaissance est un examen national qui se déroule devant un jury composé d’un universitaire, d’un magistrat et d’un notaire admis à faire l’usage de la spécialisation demandée.

En effet, comme le remarque l’auteur, l’on ne se déclare pas spécialiste mais l’on est reconnu comme tel.

Les dispenses de l’examen de connaissance

L’examen de connaissance peut faire l’objet de dispenses lorsque le candidat a exercé pendant au moins 4 années cette spécialité, qu’il ait été :

  • Magistrat ;
  • Professeur d’enseignement supérieur ou maître de conférence ;
  • Fonctionnaire de catégorie A ou personnes assimilées à cette catégorie ;
  • Docteur en droit dont la thèse a porté sur un sujet en rapport avec la spécialisation considérée ;
  • Ancien conseil juridique.

Condition d’utilisation de la spécialité 

Une fois obtenue, pour faire usage de la spécialité, le notaire doit en informer préalablement la chambre des notaires.

Les risques d’une mention abusive de spécialité

L’utilisation abusive d’une spécialité est une infraction au règlement disciplinaire susceptible de sanctions disciplinaires.

La responsabilité civile professionnelle du notaire peut également être engagée par « par la confusion qu’ils entretiennent dans l’esprit du public » en indiquant une spécialité qu’il n’a pas obtenu ou qui n’existe pas.

En cas de contentieux et de découverte que le notaire avait fait un usage abusif d’une spécialité, le risque serait que l’assureur du notaire refuse d’indemniser le sinistre qui en résulterait et, l’éventuelle défaillance du notaire pourrait relever de la garantie collective de la profession.

Distinction avec les labels

La profession notariale a organisé la possibilité de se voir délivrer des « labels » après une formation d’un an et un contrôle de connaissance.

Toutefois le label et la spécialité doivent être distingués et l’obtention d’un label autorise le notaire à se prévaloir de certaines compétences au titre de ce label mais non au titre d’une spécialité.

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