Jurisprudences :

Cass. civ. 3ème, 21 septembre 2023, n° 22-15.850, inédit :

En résumé : La résolution du bail pour défaut de communication d’un état des risque daté de moins de six mois n’est possible que si le manquement est d’une gravité suffisante.

En l’espèce, une SCI a donné des locaux à usage commercial à une société le 9 mai 2012 avec effet au 1er juin 2012. La locataire a renoncé à cette location et n’a pas pris possession des lieux, sans que les parties ne parviennent à un accord.

La bailleresse a demandé la condamnation de la locataire à lui verser les loyers et charges impayées à compter du 1er juin 2012 et la locataire a sollicité la résolution du bail aux torts de la bailleresse et le paiement de dommages et intérêts.

La cour d’appel de renvoi a fait droit à la demande de la locataire en considérant que la communication d’un état des risques naturels et technologiques daté de moins de 6 mois constitue une obligation légale d’information à la charge de la bailleresse et qu’en l’espèce cette communication faisant défaut, la locataire était en droit de poursuivre la résolution du contrat, sans avoir à justifier d’un préjudice.

La Cour de cassation, au visa de l’article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2016, sanctionne ce raisonnement en considérant que la cour d’appel aurait dû rechercher si le manquement imputé à la bailleresse était d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de location.

Cass. civ. 1ère, 20 septembre 2023, n° 21-23.877, inédit :

En résumé : La détention exclusive des clés par l’un des coïndivisaires, étant constitutive d’une jouissance privative et exclusive, l’oblige au paiement d’une indemnité d’occupation.

En l’espèce, suite au décès successifs (le 17 novembre 2001 et le 16 mai 2004) de deux époux laissant pour leur succéder deux enfants, des difficultés sont apparues lors des opérations de comptes, liquidation et partage des successions.

L’un des enfants indivisaire a sollicité une indemnité d’occupation pour une maison d’habitation à l’Est à l’encontre de l’autre indivisaire au motif qu’il en détenait seul les clés.

La cour d’appel avait rejeté sa demande en considérant que l’absence de cette maison à compter du mois de juin 2015 n’implique pas que l’indivisaire détenteur des clés ait fait un usage privatif des lieux après le congé donné par le locataire et qu’il ne peut être redevable d’une indemnité d’occupation au seul motif que les clés lui auraient été restitués par le locataire.

La Cour de cassation, rappelant que la jouissance privative d’un immeuble indivis résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d’user de la chose, considère que la détention des clés, en ce qu’elle permettait à son détenteur d’avoir seul la libre disposition d’un bien indivis, est constitutive d’une jouissance privative.

 

 

 

Études :

Synthèse du dossier spécial publié à la Revue Lamy droit civil du 1er octobre, « L’immeuble dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux » sous la direction de Camille Delran, Aurore Fournier et Marc Dupré, 2ème partie 

  1. La responsabilité des constructeurs et réputés constructeurs dans l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux (Aurore Fournier)

L’auteur remarque que l’avant-projet a apporté des modifications substantielles à la notion de réception juridique et que des propositions ont des conséquences sur la catégorie des débiteurs des garanties biennale et décennale, elle propose de corriger quelques points sur la première notion (A) avant de parachever la qualification des réputés constructeurs (B).

  1. La réception de l’ouvrage, une notion déterminante à reprendre

Un texte est consacré aux effets de la réception dans l’avant-projet de réforme, il s’agit de l’article 1778  qui dispose que « La réception couvre tout vice ou défaut de conformité apparents n’ayant pas fait l’objet de réserves.

Elle marque le point de départ des garanties dues par l’entrepreneur et fait courir les délais des actions en responsabilité contre lui

Sauf stipulation contraire, elle emporte transfert de propriété et des risques de l’ouvrage.

Sans réserve, elle rend le prix, ou le solde du prix, exigible. »

L’auteur considère que les importants effets attachés à la réception impliquent une définition très précise de ce mécanisme mais que celle proposée par la Commission est imparfaite (1), elle traite ensuite des formes de la réception (2).

  1. La définition de la réception

L’article 1774 de l’avant-projet définit dans son alinéa premier que « La réception est l’acte juridique par lequel le client déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves. ».

Le texte substitue le terme de « maitre d’ouvrage » par client, dans un souci de généralisation de la réception. L’auteur considère toutefois que cet effort de généralisation est imparfait car appliqué au seul contrat d’entreprise alors même que la réception est susceptible de dépasser ce cadre et que l’avant-projet aurait pu être plus ambitieux malgré le défi d’une plus grande généralisation.

Note : Toute la difficulté de réformer le droit des contrats spéciaux tient au degré de généralisation des règles applicables aux contrats spéciaux.

Certains auteurs (Pascal Puig) préconisent ainsi la mise en place d’un « droit commun spécial » qui s’intercalerait entre le droit commun des contrats et le droit des contrats spéciaux, c’est-à-dire celui propre aux contrats nommés. La réforme du droit des contrats de 2016 a mis en place certaines règles de ce type, telle que l’article 1165 du code civil applicable à l’indétermination du prix dans les contrats de prestation de service ou encore l’article 1171 du code civil applicable aux clauses constitutives d’un déséquilibre significatif entre les parties dans les contrats d’adhésion.

L’association Henri Capitant avait ainsi proposé de constituer un titre relatif à des « droits et obligations spéciaux » qui traduisait cette strate intermédiaire de règles, quoique cette méthodologie n’ait pas été retenu dans l’avant-projet.

 

L’auteur approuve la conservation du terme de « déclaration » qui marque le fait que la réception est une manifestation de volonté mais regrette l’absence de référence à la conformité, pourtant essentielle.

Elle considère que l’acceptation emporte la satisfaction et que cette dernière, dans les rapports contractuels, est acquise lorsqu’il y a conformité aux stipulations et aux règlementations.

Une difficulté tiendrait toutefois au fait de s’accorder sur la définition de la conformité en raison de la distinction, civiliste, entre le vice et la conformité. Mais l’auteur remarque que le droit de la construction est indifférent à cette distinction, celui-ci reposant « sur le caractère apparent ou caché du désordre, indépendamment du point de savoir s’il s’agit d’un vice ou d’un défaut de conformité stricto sensu ».

L’auteur propose ainsi de définir la réception comme une déclaration de conformité. Celle-ci consiste ainsi en l’adéquation apparente entre ce qui a été prévu au contrat et au respect des normes et réglementation et ce qui a été construit.

La commission a rejeté la référence à la conformité en considérant qu’elle était incompatible avec la formulation de réserves. L’auteur s’oppose à cette analyse en considérant, au contraire, que la formulation de réserve, participe de la manifestation de volonté du client et permet de moduler l’étendue et les limites et sa déclaration de conformité. Elle considère enfin que ceci est conforme à l’effet de purge attaché à la réception, les désordres apparents étant purgés à l’exception de ceux ayant fait l’objet de réserves.

Note : L’on peut s’interroger si le refus de la commission d’associer la conformité à la réception en raison de la formulation des réserves ne tient pas au fait que cela aboutirait à reconnaître une conformité partielle et, par voie de conséquence la figure de la réception partielle.

 

L’auteur regrette également que la Commission n’ait pas intégré dans l’avant-projet la réception par lot. Elle remarque que la rédaction des textes vise la « réception de l’ouvrage » et s’interroge si cette rédaction pourra être interprétée au sens d’un abandon de la réception par lot.

  1. Les formes de la réception

La réception peut être expresse (a) ou tacite (b) et, quoique non annoncée comme l’une des formes de réception, elle peut également être judiciaire (c).

  1. La réception expresse

L’article 1775 alinéa premier de l’avant-projet prévoit explicitement que la réception expresse est contradictoire, consacrant ainsi la jurisprudence sur ce point selon la Commission.

L’auteur regrette toutefois ce point, considérant par une lecture a contrario de ce texte, que cette condition est ainsi supprimée pour la réception tacite ou judiciaire.

Aussi l’auteur regrette que le contradictoire appliqué à la réception n’est pas définit dans l’avant-projet, la Commission retenant simplement dans leurs commentaires une approche qualifiée de « processualiste » du contradictoire qui consiste à requérir simplement une convocation régulière en la forme des parties mais non leur présence effective.

Note : En application du parallélisme des formes, l’alinéa 2 du texte prévoit que lorsque la réception est expresse, les réserves doivent l’être aussi.

 

 

  1. La réception tacite

La réception tacite est consacrée par l’article 1776 de l’avant-projet.

L’alinéa premier du texte transpose la jurisprudence sur la volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage tandis que l’alinéa second prévoit que « la prise de possession de l’ouvrage et le paiement du solde du prix font présumer la volonté non équivoque du client de le recevoir, avec ou sans réserves ».

La référence au paiement du solde du prix est saluée par l’auteur car elle empêchera les juges de faire jouer la présomption lors d’un paiement partiel.

L’auteur reproche toutefois aux auteurs de l’avant-projet de ne pas avoir précisé la date de la réception tacitement présumée telle qu’entérinée par la jurisprudence c’est-à-dire au moment de la prise de possession jointe au paiement intégral et, lorsque ces deux instants sont séparés et que la prise de possession précède le paiement du solde, au moment du paiement du solde (Cass. civ. 3ème, 12 nov. 2020, n° 19-18.213, publié).

  1. La réception judiciaire

L’article 1777 de l’avant-projet prévoit que « La réception peut être prononcée judiciairement, avec ou sans réserves, si l’ouvrage satisfait à sa destination. ».

L’avant-projet innove ici par rapport à l’expression utilisée par la jurisprudence qui vise l’ouvrage en état d’être reçu (par ex. Cass. civ. 3ème, 12oct. 2017, n° 15-27.802, publié).

Outre l’imprécision de l’expression actuelle de la jurisprudence, la Commission justifie le recours à la notion de destination en raison de la possibilité d’assortir la réception judiciaire de réserves.

L’auteur de l’étude analyse cette nouveauté au regard de la distinction entre l’achèvement, c’est-à-dire l’exécution complète et entière de l’ouvrage, de l’aptitude à la destination. Elle l’approuve en considération de l’indifférence de l’achèvement pour procéder à la réception.

Néanmoins une critique se découvre sous un autre texte, l’article 1772 de l’avant-projet, qui précède la paragraphe 2 sur la réception de l’ouvrage et prévoit dans son alinéa premier qu’ « une fois l’ouvrage achevé, l’entrepreneur est tenu de le présenter à la réception au client » et dans son second alinéa que « la présentation de l’ouvrage achevé au client oblige celui-ci à le réceptionner. ».

Bien que ce texte organise le contradictoire entre les parties au stade de la réception, il instaure une obligation supplémentaire à la charge de l’entrepreneur lorsque celui-ci a bien exécuté ses obligations alors même que l’inachèvement ne lui impose pas cette obligation.

Aussi la présentation de l’ouvrage achevé au client l’obligeant à le réceptionner établit un lien entre l’achèvement et la réception alors même, remarque l’auteur, que la Commission avait souhaité rompre ce lien en retenant, justement, le critère de l’aptitude de l’ouvrage à sa destination comme critère de la réception judiciaire.

La mise en perspective de ce texte avec la réception judiciaire donne ainsi un sentiment d’incohérence, avec d’un côté le critère de l’aptitude de l’ouvrage à sa destination comme critère de la réception judiciaire, obligatoire, et de l’autre, prévoir que la réception est obligatoire lorsque l’ouvrage est achevé et présenté.

La cohérence pourrait être retrouvée selon l’auteur si l’achèvement non définie par l’article 1772 de l’avant-projet correspond à l’aptitude à la destination mais, dans ce cas, il aurait fallu utiliser les mêmes termes.

Surtout, remarque-t-elle, le risque d’utiliser ces deux notions est de créer, justement un lien entre elles alors même et de faire apparaître la réception comme une obligation alors qu’elle n’est obligatoire – ce qui est différent d’une obligation – uniquement dans le cadre de la réception judiciaire – non lorsque l’ouvrage est achevé, mais lorsqu’il est utilisable à sa destination.

L’auteur préconise ainsi la modification, voire même la suppression de ce second alinéa.

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