Doctrine administrative :
Droit de préférence du locataire commercial et revente du bien préempté : Rép. Min. n° 3255, JOAN, 21 mars 2023, p. 2667.
En résumé : le droit de préemption s’exerce lorsque le propriétaire des murs fait le choix de vendre et qu’il est exclu dans le cadre des ventes contraintes. La liberté contractuelle permet, en outre, au bailleur qui justifie d’un intérêt légitime et sérieux, d’assortir l’offre de vente d’une obligation pour l’acquéreur de maintenir l’activité commerciale ou d’une clause d’inaliénabilité. Dès lors le gouvernement rejette les perspectives de modifications législatives interdisant au locataire commercial exerçant son droit de préemption de réaliser une opération de marchand de bien.
Un député interroge le gouvernement sur la validité, au vu de l’esprit du droit de préférence du locataire commercial, de l’usage par ce dernier de son droit pour réaliser une opération de commerce d’achat revente/marchand de bien.
Ce député constate que des locataires se portent acquéreur du bien en application de leur droit de préférence pour réaliser des opérations de commerce sous le régime de marchand de bien (achat pour revendre). Qu’ainsi le locataire utilise cette préférence pour acquérir le bien et pour le revendre à un meilleur prix, sans avoir à effectuer de travaux et après avoir résilié, de fait le bail. La vente s’effectue alors à un meilleur prix, le bien étant libéré de toute contrainte locative et la vente s’effectue à une fiscalité réduite. Enfin, il suffit au locataire de modifier l’objet social pour y intégrer les opérations de biens et de faire une modification d’activité auprès du greffe du tribunal de commerce pour y procéder.
Le gouvernement y répond en considérant que le texte a été instauré pour renforcer la propriété commerciale et favoriser la pérennité de l’entreprise tout en précisant que l’exercice du droit de préemption n’a été soumis à aucune condition de poursuite de son activité commerciale par le locataire dans les lieux acquis pendant une période déterminée.
Devenu propriétaire du local qu’il exploite commercialement, le nouvel acquéreur dispose alors librement de son bien, à l’instar de tout propriétaire et il peut continuer de l’exploiter ou il peut, plutôt de continuer de valoriser le fonds de commerce qu’il y a développé, choisir de le revendre libre de toute occupation dès lors qu’il y trouve un intérêt financier.
Le gouvernement considère que restreindre la revente du local acquis en application d’un droit de préemption constituerait une atteinte forte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre du commerçant acquéreur. Le locataire, usant de son droit de préemption, réunit alors sur sa personne la qualité de propriétaire du fonds de commerce et du local commercial qu’il est ensuite libre de dissocier.
Le gouvernement précise enfin que le droit de préemption s’exerce lorsque le propriétaire des murs fait le choix de vendre et qu’il est exclu dans le cadre des ventes contraintes et que la liberté contractuelle lui permet, lorsque le bailleur justifie d’un intérêt légitime et sérieux lorsqu’il souhaite vendre, d’assortir son offre de vente d’une obligation pour l’acquéreur de maintenir l’activité commerciale en cours dans les lieux ou d’introduire une clause d’inaliénabilité, pendant une durée limitée, afin de ne pas vider le droit de propriété cédé de toute substance.
Le gouvernement rejette dès lors la perspective de modifier les dispositions en vigueur afin de contraindre le locataire commercial qui use de son droit de préemption lors de la vente du local commercial dans lequel il exerce son activité commerciale à maintenir celle-ci pendant une certaine durée ou à lui interdire de revendre le bien libre de toute occupation.
Jurisprudences :
Permis de construire d’éoliennes : CE, 1er mars 2023, n° 459716, sté EDPR France Holding, Lebon.
En résumé : Le renforcement de l’effet de saturation visuelle opéré par le projet d’un parc éolien peut constituer une atteinte excessive à la commodité du voisinage suffisante pour emporter le rejet dudit projet.
En l’espèce la SAS EDPR France Holding a sollicité le 28 février 2017 une autorisation portant sur un projet de parc éolien comportant six éoliennes et deux postes de livraison sur la commune de Montloué.
Par un arrêté du 20 novembre 2019 le préfet de l’Aisne a délivré l’autorisation unique pour une éolienne et les deux postes de livraison et refusé l’autorisation pour les 5 autres éoliennes.
Par un arrêt du 26 octobre 2021 contre lequel la société EDPR France Holding se pourvoit en cassation, la CAA de Douai a rejeté sa demande en annulation tendant à l’annulation de cet arrêté en tant qu’il porte refus d’autorisation des 5 éoliennes.
Le porteur du projet reprochait un refus d’autorisation fondé exclusivement sur l’atteinte portée par le projet à la commodité du voisinage, intérêt protégé par le code de l’environnement.
Le Conseil d’État considère que la circonstance que les intérêts mentionnés par le code de l’environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacles à ce que l’impact visuel d’un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu’il est susceptible de générer, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage.
Il considère que des communes auraient eu à subir un renforcement de l’effet de saturation visuelle tel qu’il caractérisait une atteinte excessive à la commodité du voisinage suffisante pour emporter le rejet du projet.
En l’espèce étaient déjà construits ou autorisés 2 parcs éoliens comportant un total de 18 éoliennes à un kilomètres, 7 parcs éoliens comportant un total de 68 éoliennes à 5 kilomètres et 14 parcs photomontages comportant 126 éoliennes à 10 kilomètres. Les éoliennes du projet se détachaient des nombreux projets déjà présents dans son périmètres immédiat ou plus éloigné, entraînant une perte de lisibilité du paysage et une occupation continue de l’horizon.
Expropriation de parties communes d’une copropriété et droit d’indemnisation du syndicat des copropriétaires : Cass. Civ. 1ère, 16 mars 2023, n° 22-11. 429 :
En résumé : le syndicat des copropriétaires ne peut représenter chaque copropriétaire pour la défense de ses droits sur son lot et ne peut donc se voir allouer une indemnité de dépréciation du surplus de l’ensemble de la copropriété.
En l’espèce, une portion des parties communes d’une copropriété a fait l’objet d’une procédure d’expropriation d’urgence au profit de la société Autoroute Esterel Côte-d’Azur Provence Alpes.
Le juge de l’expropriation a fixé l’indemnité de dépossession revenant au syndicat des copropriétaires de la copropriété.
La société expropriante reproche d’avoir fixé l’indemnité pour dépréciation du surplus à une certaine somme.
La cour d’appel avait alloué au syndicat des copropriétaires cette indemnité en retenant que la dévalorisation du surplus de la copropriété résultait de la disparition de près d’un tiers des emplacements de parking matérialisés, ce qui, en zone urbaine, était de nature à dissuader fortement les candidats acquéreurs et à diminuer la valeur marchande au mètre carré de la copropriété de sorte que cette dépréciation, évaluée à 20%, devait s’appliquer au prix moyen de vente au mètre carré d’après des exemples de ventes de lots privatifs au sein de la copropriété.
La Cour de cassation rappelle d’abord que les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation et que le juge prononce des indemnités distinctes en faveur des parties qui les demandent à des titres différents.
Elle considère alors que le syndicat des copropriétaires ne peut représenter chaque copropriétaire pour la défense de ses droits sur son lot et ne peut donc se voir allouer une indemnité de dépréciation du surplus de l’ensemble de la copropriété.
Elle casse alors l’arrêt en ce qu’il fixe l’indemnité allouée pour la dépréciation du surplus à payer au syndicat des copropriétaires.
Compétence du juge administratif pour juger du refus d’acheter d’une commune : TC, 13 mars 2023, n° C4260, SARL Boucherie Cannoise :
En résumé : l’acte d’une personne publique qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte relève de la compétence du juge administratif.
Il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherché la responsabilité de cette personne publique à raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait.
En l’espèce, la SARL Boucherie Cannoise exploitait une boucherie à Cannes. Par une délibération du 10 octobre 2016, le conseil municipal a approuvé le principe et le prix d’acquisition du fonds de commerce de la boucherie et a autorisé le maire à signer tous les actes nécessaires à cette opération.
La commune, par courrier du 9 avril 2018, a informé la SARL, de son intention de ne pas acquérir le fonds de commerce dans les conditions prévues par la délibération du 10 octobre 2016.
La société a saisi le tribunal administratif de Nice aux fins d’indemnisation de ses préjudices du fait de la non-exécution de la délibération.
Le tribunal, qui a estimé que le litige dont il était saisi présentait une question de compétence qui soulevait une difficulté sérieuse, a saisi le tribunal des conflits.
Le Tribunal des conflits considère que l’acte d’une personne publique qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte relève de la compétence du juge administratif. Il considère en outre qu’il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherché la responsabilité de cette personne publique à raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait.
Il considère qu’en l’espèce la SARL Boucherie Cannoise recherche la responsabilité de la commune de Cannes à raison du retrait ou de l’absence d’exécution de la délibération du 10 octobre 2016 du conseil municipal, qui décide d’une modification du périmètre ou de la consistance du domaine privé de la commune et qu’il en résulte qu’un tel litige relève de la compétence de la juridiction administrative.
Darkstores : CE, 23 mars 2023, n° 468360, Ville de Paris, Lebon.
En résumé : Des locaux initialement occupés par des commerces et désormais destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette doivent être considérés comme des entrepôts dont l’occupation est soumise à déclaration préalable.
Or le PLU de Paris interdit la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée, ce qui empêche la régularisation des sociétés occupantes.
Par arrêtés des 17 et 24 juin 2022 la ville de Paris a mis en demeure la société Frichti de restituer dans leur état d’origine les locaux qu’elle occupe à trois adresses parisiennes, dans un délai de trois mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par arrêtés des 13, 24 et 29 juin et 15 et 28 juillet 2022, la ville de Paris a mis en demeure la société Gorillas Technologies France de restituer les entrepôts situés à six adresses parisiennes, dans un délai de 3 mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par une ordonnance du 5 octobre 2022, contre laquelle la ville de Paris se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu ces décisions.
Le Conseil d’État considère que les locaux occupés par les sociétés étaient initialement des locaux utilisés par des commerces et sont désormais destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclettes. Il considère qu’ils ne constituent plus des locaux « destinés à la présentation et vente de bien directe à une clientèle » et que, même si des points de retrait peuvent y être installés, ils doivent être considérés comme des entrepôts au sens des dispositions du code de l’urbanisme (R. 151-27 et 28).
Le Conseil d’État considère dès lors que l’occupation de ces locaux par ces sociétés pour y exercer les activités en cause constitue un changement de destination soumis, en application de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme, à déclaration préalable et que la ville de Paris était en droit d’exiger des sociétés requérantes le dépôt d’une déclaration préalable.
Sur la question de la non-opposition à déclaration préalable
La commune de Paris soutenait en outre qu’une telle déclaration préalable devait donner lieu à opposition de la ville si bien que la situation des sociétés requérantes était insusceptible d’être régularisée.
Le Conseil d’État constate notamment que le PLU de la ville de Paris prévoit que « la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée est interdite ».
Le Conseil d’État considère qu’en l’espèce l’occupation des locaux a pour objet de permettre l’entreposage et le reconditionnement de produits non destinés à la vente aux particuliers dans ces locaux, ce qui correspond à une activité relevant de la destination « entrepôt » telle que définie par le PLU et que dès lors, le moyen tiré de ce qu’il n’était pas possible d’opposer les dispositions du règlement du PLU interdisant la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue au changement de destination opéré, n’est pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.
Bail emphytéotique – prescription de l’action du bailleur contre l’empiètement du preneur : Cass. cv. 3ème, 8 février 2023, n° 21-20.535, publié :
En résumé : l’empiètement dénoncé par un bailleur invoqué au titre d’un manquement contractuel du preneur à ses obligations issues du bail emphytéotique est soumise à la prescription quinquennale de droit commun.
En l’espèce le 25 septembre 1963, la SCI des Camoins a consenti à la société Clinique un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans portant sur un terrain afin d’y construire une clinique de rhumatologie alimentée en eau thermale depuis la source située sur une parcelle voisine, appartenant également à la SCI.
Le 6 novembre 1978, les parties ont modifié leurs relations contractuelles en concluant un protocole, un avenant au bail et un contrat de concession d’eau.
Invoquant des manquements du preneur à ses obligations contractuelles, la SCI l’a assignée en résiliation du bail, du contrat de concession d’eau et du protocole, en expulsion et en paiement de redevances et de dommages et intérêts.
La SCI demandait notamment des dommages et intérêts fondés sur un empiètement imputable au preneur et reprochait à la cour d’appel d’avoir déclaré son action prescrite car exercée au-delà du délai de prescription quinquennal de droit commun.
La SCI considérait que le dommage né d’un empiètement est continu et que même si l’action visant à la réparation des dommages causés par un empiètement peut être regardée comme personnelle, elle doit être recevable, au moins dans la limite des cinq années qui précède la demande, dès lors que l’empiètement se poursuit et que l’action réelle n’est pas prescrite.
Or la Cour de cassation considère que l’empiètement dénoncé par la SCI était invoqué au titre d’un manquement contractuel du preneur à ses obligations issues du bail emphytéotique et qu’en conséquence la cour d’appel avait exactement retenu que cette action en responsabilité contractuelle était soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.
En l’espèce la SCI connaissait l’existence de l’empiètement au moins depuis le 22 avril 2008, date à laquelle elle avait assigné en référé la société preneuse, il en résultait que l’action exercée le 3 septembre 2018 était prescrite.
Clause abusive et crédit immobilier : Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.044, publié.
En résumé : la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, lequel est ainsi exposé à une aggravation soudaine de ses conditions de remboursement.
Par acte notarié du 22 juillet 2008, une société a consenti un prêt immobilier à M. et Mme W. Après déchéance du terme, elle a engagé une procédure d’exécution forcée sur des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ces derniers ont invoqué le caractère abusif de la clause de déchéance du terme et de la clause pénale.
La cour d’appel avait exclu le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l’emprunteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par leur prêteur.
La Cour de cassation rappelle, pour apprécier le caractère abusif de cette clause, la jurisprudence européenne qui avait jugé d’une part (CJUE, 26 janvier 2017, Branco Primus, C-421/14) qu’il incombait aux juridictions nationales d’examiner :
- 1° si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause,
- 2° si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt,
- 3° si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques
- 4° et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.
Et d’autre part (CJUE, 8 décembre 2022, Caisse régionale de crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21) que ce précédent arrêt devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs, ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné.
En l’espèce, la Cour de cassation considère que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, lequel est ainsi exposé à une aggravation soudaine de ses conditions de remboursement.
Clause abusive et contrat de prêt : Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.476, publié :
En résumé : les juridictions du fond doivent examiner d’office le caractère abusif de la clause des conditions générales de vente qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable.
En l’espèce, par acte notarié du 4 décembre 2009, une banque a consenti à Mme S un prêt immobilier en francs suisses, garanti par une hypothèque et comportant une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate.
À la suite du défaut de paiement des échéances de ce prêt, la banque a délivré à l’emprunteuse un commandement aux fins de vente forcée.
Le 17 février 2020, le tribunal de l’exécution forcée en matière immobilier a ordonné la vente forcée des immeubles garantis, fixé le montant de la créance et commis un notaire pour procéder à l’adjudication.
L’emprunteuse a formé un pourvoi. Elle reproche notamment au juge de n’avoir pas soulevé d’office le caractère abusif de la clause du prêt, conclu entre un professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s’autorise, en raison d’un manquement du débiteur à son obligation de rembourser une seule échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme sans mise en demeure préalable et immédiatement, sans préavis d’une durée raisonnable ni mécanisme de nature à permettre la régularisation d’un tel retard de paiement.
La Cour de cassation vise d’abord la jurisprudence de la CJUE (8 décembre 2022, caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21) qui avait notamment jugé que le droit européen (art. 4 de la directive 93/13) s’opposait à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoyait, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme du contrat pouvait être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’avait pas fait l’objet d’une négociation individuelle et créait au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant.
Elle considère qu’en l’espèce la somme réclamée par la banque au titre du capital restant dû et des échéances échues impayées était exigible en application d’une clause des conditions générales du contrats de prêt qui, en cas de défaillance de l’emprunteur, prévoyait l’exigibilité immédiate des sommes dues au titre des prêts.
Elle sanctionne alors la cour d’appel de n’avoir pas examiné d’office le caractère abusif d’une telle clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable.
Vice caché et phénomène naturel : Cass. civ. 3ème, 15 juin 2022, n° 21-13.286, publié :
En résumé : un phénomène extérieur, naturel, dont la survenance était imprévisible peut caractériser un vice dès lors qu’il rend la chose impropre à l’usage auquel on la destine ou qui en diminue tellement l’usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis, ou qu’à moindre prix
En l’espèce, par acte authentique du 14 novembre 2016, Mme L a vendu une maison d’habitation, située près de l’océan, à Mme W.
Cette dernière, invoquant un défaut d’information sur les nuisances liées à l’échouage saisonnier d’algues sargasses, a assigné la venderesse en annulation de la vente sur le fondement du dol et, subsidiairement, en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés.
La cour d’appel avait rejeté la demande fondé sur le dol en considérant que bien que la venderesse avait omis d’informer l’acquéreur sur le phénomène des échouages des algues sargasses qui affectait le bien vendu, elle avait considérait que l’acquéreur n’avait pas établi que la venderesse savait que ce mensonge portait sur un élément déterminant pour son contractant, ni qu’elle avait été informé de la santé fragile de l’acquéreuse et de son fils.
La Cour de cassation sanctionne ce raisonne en considérant que la cour d’appel avait constaté que la venderesse avait apporté des réponses mensongères aux demandes répétées de l’acquéreuse relatives à la présence d’algues sargasse, avec la volonté de tromper.
La cour d’appel avait également rejeté la demande fondé sur le vice caché en retenant qu’un phénomène extérieur, naturel, dont la survenance était imprévisible, ne constitue pas un vice caché.
Ici encore la Cour de cassation sanctionne le raisonnement de la juridiction du fond en considérant que la cour d’appel a ajouté à la loi une restriction qu’elle ne comporte pas, le vice étant caractérisé dès lors qu’il rend la chose impropre à l’usage auquel on la destine ou qui en diminue tellement l’usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis, ou qu’à moindre prix.
En somme l’origine du vice est indifférent, seul compte la diminution de l’usage de la chose acquise en raison de la présence du vice.
Vice caché – appréciation de la garantie : Cass. civ. 3ème, 11 mai 2023, 21-25.480, inédit :
En résumé : le juge saisi d’une demande fondée sur la garantie des vices cachés doit rechercher si le vice diminue tellement l’usage de la chose que l’acquéreur en aurait donné un prix moindre et ne peut se limiter à rejeter la demande au motif que l’acquéreur n’établit pas que le vice avait tellement diminué l’usage de la chose qu’il ne l’aurait pas acquise.
Par acte authentique du 31 août 2011, des SCI ont vendu à M. M une parcelle.
L’acquéreur, invoquant l’existence de vices cachés résultant de la présence de déchets en sous-sol a, par acte du 16 octobre 2013, assigné les vendeurs en désignation d’un expert aux fins d’estimation de la valeur réelle du terrain et en paiement de dommages et intérêts.
L’acquéreur reproche à la cour d’appel d’avoir rejeter son action estimatoire au motif que celui-ci n’établissait pas que l’impossibilité d’établir un potager aurait tellement diminué l’usage du terrain qu’il ne l’aurait pas acquis, en effet l’acquéreur considère qu’il suffisait à la cour d’appel, pour accueillir son action, que le vice litigieux diminue tellement l’usage de la chose vendue que l’acquéreur en aurait donné un moindre prix s’il l’avait connu.
La cour d’appel avait en effet considéré que l’usage principal de la parcelle tenait à la construction d’une maison, qui n’avait été rendue difficile que pour des motifs étrangers à la présence de déchets dans le sous-sol et que l’argument de l’impossibilité d’établir un potager n’était caractérisé par aucune constatation ou étude sérieuse et qu’il n’était pas établi que cette circonstance aurait tellement diminué l’usage du terrain que l’acquéreur ne l’aurait pas acquis.
La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement en considérant que la cour d’appel aurait dû rechercher si le vice tenant à la présence de déchet dans le sous-sol du terrain sur toute sa superficie ne diminuait pas tellement son usage que l’acquéreur n’en aurait pas donné qu’un moindre prix s’il l’avait su.
Qualification du contrat de fourniture et d’installation – Cass. civ. 1ère, 17 mai 2023, n° 21-25.670, publié :
En résumé : Le contrat mixte porte sur la livraison de biens ainsi que sur une prestation de service d’installation et de mise en service doit être qualifié de contrat de vente soumis au délai de rétractation prorogé de 12 mois en cas d’information erronée quant à son point de départ.
En l’espèce, le 21 septembre 2017, N.Z. a conclu hors établissement avec la société Media système un contrat de fourniture et d’installation de douze panneaux photovoltaïques et d’un chauffe-eau thermodynamique dont le prix a été financé par un crédit souscrit le 2 octobre par l’acquéreur auprès d’une banque.
Le 2 novembre 2017, N.Z. a établi une attestation de fin de travaux et de conformité conduisant la banque à débloquer le capital emprunté entre les mains de la société media système.
Le 25 janvier 2018, N.Z. et son épouse ont informé la société media système qu’il exerçaient leur droit de rétractation.
Les 30 et 31 mai 2018, ils ont assigné la société Media system et la banque en constat de la caducité des contrats.
La société media système reprochait à l’arrêt d’avoir constaté l’exercice par les acquéreurs de leur droit de rétractation dans le délai légal prorogé de 12 mois sur le fondement de l’article L. 221620 du code de la consommation, de constater l’anéantissement du contrat et de la condamner à venir récupérer à ses frais les éléments installés et procéder à la remise en état..
En effet elle considérait que la fourniture et la pose d’un dispositif destiné à produire de l’énergie relève du contrat de prestation de service, de sorte que le point de départ du délai de rétractation du consommateur doit être fixé au jour de la conclusion du contrat.
La Cour de cassation rappelle que les dispositions du code de la consommation prévoient que le contrat ayant pour objet à la fois la fourniture de prestation de service et la livraison de biens est assimilé à un contrat de vente.
Elle précise que le consommateur dispose d’un délai de rétractation de 14 jours qui, lorsque les informations relatives à celui-ci n’ont pas été fournies au consommateur, est prolongé de douze mois à compter de l’expiration du délai de rétractation initial.
Elle considère ensuite que le contrat litigieux avait pour objet la fourniture d’un kit photovoltaïque et d’un chauffe-eau, leur installation complète et leur mise en service. Elle en déduit que ce contrat mixte porte sur la livraison de biens ainsi que sur une prestation de service d’installation et de mise en service et qu’il devait être qualifié de contrat de vente.
Elle constate que le bon de commande comportait une information erronée quant au point de départ du délai de rétractation et en déduit que ce délai, prorogé de douze mois, n’était pas expiré lorsque les acquéreurs se sont rétractés de leur engagement et qu’en conséquence les contrats de vente et de crédit affecté avaient pris fin.
Elle rejette le pourvoi formé par la société et, en l’absence de doute raisonnable sur l’interprétation du droit de l’Union européenne, rejette la demande de saisine de la CJUE d’une question préjudicielle.