Doctrine administrative :

Droit de préférence du locataire commercial et revente du bien préempté : Rép. Min. n° 3255, JOAN, 21 mars 2023, p. 2667.

En rĂ©sumé : le droit de prĂ©emption s’exerce lorsque le propriĂ©taire des murs fait le choix de vendre et qu’il est exclu dans le cadre des ventes contraintes. La libertĂ© contractuelle permet, en outre, au bailleur qui justifie d’un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime et sĂ©rieux, d’assortir l’offre de vente d’une obligation pour l’acquĂ©reur de maintenir l’activitĂ© commerciale ou d’une clause d’inaliĂ©nabilitĂ©. DĂšs lors le gouvernement rejette les perspectives de modifications lĂ©gislatives interdisant au locataire commercial exerçant son droit de prĂ©emption de rĂ©aliser une opĂ©ration de marchand de bien.

Un dĂ©putĂ© interroge le gouvernement sur la validitĂ©, au vu de l’esprit du droit de prĂ©fĂ©rence du locataire commercial, de l’usage par ce dernier de son droit pour rĂ©aliser une opĂ©ration de commerce d’achat revente/marchand de bien.

Ce dĂ©putĂ© constate que des locataires se portent acquĂ©reur du bien en application de leur droit de prĂ©fĂ©rence pour rĂ©aliser des opĂ©rations de commerce sous le rĂ©gime de marchand de bien (achat pour revendre). Qu’ainsi le locataire utilise cette prĂ©fĂ©rence pour acquĂ©rir le bien et pour le revendre Ă  un meilleur prix, sans avoir Ă  effectuer de travaux et aprĂšs avoir rĂ©siliĂ©, de fait le bail. La vente s’effectue alors Ă  un meilleur prix, le bien Ă©tant libĂ©rĂ© de toute contrainte locative et la vente s’effectue Ă  une fiscalitĂ© rĂ©duite. Enfin, il suffit au locataire de modifier l’objet social pour y intĂ©grer les opĂ©rations de biens et de faire une modification d’activitĂ© auprĂšs du greffe du tribunal de commerce pour y procĂ©der.

Le gouvernement y rĂ©pond en considĂ©rant que le texte a Ă©tĂ© instaurĂ© pour renforcer la propriĂ©tĂ© commerciale et favoriser la pĂ©rennitĂ© de l’entreprise tout en prĂ©cisant que l’exercice du droit de prĂ©emption n’a Ă©tĂ© soumis Ă  aucune condition de poursuite de son activitĂ© commerciale par le locataire dans les lieux acquis pendant une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e.

Devenu propriĂ©taire du local qu’il exploite commercialement, le nouvel acquĂ©reur dispose alors librement de son bien, Ă  l’instar de tout propriĂ©taire et il peut continuer de l’exploiter ou il peut, plutĂŽt de continuer de valoriser le fonds de commerce qu’il y a dĂ©veloppĂ©, choisir de le revendre libre de toute occupation dĂšs lors qu’il y trouve un intĂ©rĂȘt financier.

Le gouvernement considĂšre que restreindre la revente du local acquis en application d’un droit de prĂ©emption constituerait une atteinte forte au droit de propriĂ©tĂ© et Ă  la libertĂ© d’entreprendre du commerçant acquĂ©reur. Le locataire, usant de son droit de prĂ©emption, rĂ©unit alors sur sa personne la qualitĂ© de propriĂ©taire du fonds de commerce et du local commercial qu’il est ensuite libre de dissocier.

Le gouvernement prĂ©cise enfin que le droit de prĂ©emption s’exerce lorsque le propriĂ©taire des murs fait le choix de vendre et qu’il est exclu dans le cadre des ventes contraintes et que la libertĂ© contractuelle lui permet, lorsque le bailleur justifie d’un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime et sĂ©rieux lorsqu’il souhaite vendre, d’assortir son offre de vente d’une obligation pour l’acquĂ©reur de maintenir l’activitĂ© commerciale en cours dans les lieux ou d’introduire une clause d’inaliĂ©nabilitĂ©, pendant une durĂ©e limitĂ©e, afin de ne pas vider le droit de propriĂ©tĂ© cĂ©dĂ© de toute substance.

Le gouvernement rejette dÚs lors la perspective de modifier les dispositions en vigueur afin de contraindre le locataire commercial qui use de son droit de préemption lors de la vente du local commercial dans lequel il exerce son activité commerciale à maintenir celle-ci pendant une certaine durée ou à lui interdire de revendre le bien libre de toute occupation.

Jurisprudences : 

Permis de construire d’éoliennes : CE, 1er mars 2023, n° 459716, stĂ© EDPR France Holding, Lebon.

En rĂ©sumé : Le renforcement de l’effet de saturation visuelle opĂ©rĂ© par le projet d’un parc Ă©olien peut constituer une atteinte excessive Ă  la commoditĂ© du voisinage suffisante pour emporter le rejet dudit projet.

En l’espĂšce la SAS EDPR France Holding a sollicitĂ© le 28 fĂ©vrier 2017 une autorisation portant sur un projet de parc Ă©olien comportant six Ă©oliennes et deux postes de livraison sur la commune de MontlouĂ©.

Par un arrĂȘtĂ© du 20 novembre 2019 le prĂ©fet de l’Aisne a dĂ©livrĂ© l’autorisation unique pour une Ă©olienne et les deux postes de livraison et refusĂ© l’autorisation pour les 5 autres Ă©oliennes.

Par un arrĂȘt du 26 octobre 2021 contre lequel la sociĂ©tĂ© EDPR France Holding se pourvoit en cassation, la CAA de Douai a rejetĂ© sa demande en annulation tendant Ă  l’annulation de cet arrĂȘtĂ© en tant qu’il porte refus d’autorisation des 5 Ă©oliennes.

Le porteur du projet reprochait un refus d’autorisation fondĂ© exclusivement sur l’atteinte portĂ©e par le projet Ă  la commoditĂ© du voisinage, intĂ©rĂȘt protĂ©gĂ© par le code de l’environnement.

Le Conseil d’État considĂšre que la circonstance que les intĂ©rĂȘts mentionnĂ©s par le code de l’environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacles Ă  ce que l’impact visuel d’un projet, en particulier le phĂ©nomĂšne de saturation visuelle qu’il est susceptible de gĂ©nĂ©rer, puisse ĂȘtre pris en compte pour apprĂ©cier ses inconvĂ©nients pour la commoditĂ© du voisinage.

Il considĂšre que des communes auraient eu Ă  subir un renforcement de l’effet de saturation visuelle tel qu’il caractĂ©risait une atteinte excessive Ă  la commoditĂ© du voisinage suffisante pour emporter le rejet du projet.

En l’espĂšce Ă©taient dĂ©jĂ  construits ou autorisĂ©s 2 parcs Ă©oliens comportant un total de 18 Ă©oliennes Ă  un kilomĂštres, 7 parcs Ă©oliens comportant un total de 68 Ă©oliennes Ă  5 kilomĂštres et 14 parcs photomontages comportant 126 Ă©oliennes Ă  10 kilomĂštres. Les Ă©oliennes du projet se dĂ©tachaient des nombreux projets dĂ©jĂ  prĂ©sents dans son pĂ©rimĂštres immĂ©diat ou plus Ă©loignĂ©, entraĂźnant une perte de lisibilitĂ© du paysage et une occupation continue de l’horizon.

Expropriation de parties communes d’une copropriĂ©tĂ© et droit d’indemnisation du syndicat des copropriĂ©taires : Cass. Civ. 1Ăšre, 16 mars 2023, n° 22-11. 429 :

En rĂ©sumé : le syndicat des copropriĂ©taires ne peut reprĂ©senter chaque copropriĂ©taire pour la dĂ©fense de ses droits sur son lot et ne peut donc se voir allouer une indemnitĂ© de dĂ©prĂ©ciation du surplus de l’ensemble de la copropriĂ©tĂ©.

En l’espĂšce, une portion des parties communes d’une copropriĂ©tĂ© a fait l’objet d’une procĂ©dure d’expropriation d’urgence au profit de la sociĂ©tĂ© Autoroute Esterel CĂŽte-d’Azur Provence Alpes.

Le juge de l’expropriation a fixĂ© l’indemnitĂ© de dĂ©possession revenant au syndicat des copropriĂ©taires de la copropriĂ©tĂ©.

La sociĂ©tĂ© expropriante reproche d’avoir fixĂ© l’indemnitĂ© pour dĂ©prĂ©ciation du surplus Ă  une certaine somme.

La cour d’appel avait allouĂ© au syndicat des copropriĂ©taires cette indemnitĂ© en retenant que la dĂ©valorisation du surplus de la copropriĂ©tĂ© rĂ©sultait de la disparition de prĂšs d’un tiers des emplacements de parking matĂ©rialisĂ©s, ce qui, en zone urbaine, Ă©tait de nature Ă  dissuader fortement les candidats acquĂ©reurs et Ă  diminuer la valeur marchande au mĂštre carrĂ© de la copropriĂ©tĂ© de sorte que cette dĂ©prĂ©ciation, Ă©valuĂ©e Ă  20%, devait s’appliquer au prix moyen de vente au mĂštre carrĂ© d’aprĂšs des exemples de ventes de lots privatifs au sein de la copropriĂ©tĂ©.

La Cour de cassation rappelle d’abord que les indemnitĂ©s allouĂ©es couvrent l’intĂ©gralitĂ© du prĂ©judice direct, matĂ©riel et certain causĂ© par l’expropriation et que le juge prononce des indemnitĂ©s distinctes en faveur des parties qui les demandent Ă  des titres diffĂ©rents.

Elle considĂšre alors que le syndicat des copropriĂ©taires ne peut reprĂ©senter chaque copropriĂ©taire pour la dĂ©fense de ses droits sur son lot et ne peut donc se voir allouer une indemnitĂ© de dĂ©prĂ©ciation du surplus de l’ensemble de la copropriĂ©tĂ©.

Elle casse alors l’arrĂȘt en ce qu’il fixe l’indemnitĂ© allouĂ©e pour la dĂ©prĂ©ciation du surplus Ă  payer au syndicat des copropriĂ©taires.

CompĂ©tence du juge administratif pour juger du refus d’acheter d’une commune : TC, 13 mars 2023, n° C4260, SARL Boucherie Cannoise :

En rĂ©sumé : l’acte d’une personne publique qui modifie le pĂ©rimĂštre ou la consistance de son domaine privĂ© ne se rapporte pas Ă  la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte relĂšve de la compĂ©tence du juge administratif.

Il en va de mĂȘme du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchĂ© la responsabilitĂ© de cette personne publique Ă  raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait.

En l’espĂšce, la SARL Boucherie Cannoise exploitait une boucherie Ă  Cannes. Par une dĂ©libĂ©ration du 10 octobre 2016, le conseil municipal a approuvĂ© le principe et le prix d’acquisition du fonds de commerce de la boucherie et a autorisĂ© le maire Ă  signer tous les actes nĂ©cessaires Ă  cette opĂ©ration.

La commune, par courrier du 9 avril 2018, a informé la SARL, de son intention de ne pas acquérir le fonds de commerce dans les conditions prévues par la délibération du 10 octobre 2016.

La sociĂ©tĂ© a saisi le tribunal administratif de Nice aux fins d’indemnisation de ses prĂ©judices du fait de la non-exĂ©cution de la dĂ©libĂ©ration.

Le tribunal, qui a estimé que le litige dont il était saisi présentait une question de compétence qui soulevait une difficulté sérieuse, a saisi le tribunal des conflits.

Le Tribunal des conflits considĂšre que l’acte d’une personne publique qui modifie le pĂ©rimĂštre ou la consistance de son domaine privĂ© ne se rapporte pas Ă  la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte relĂšve de la compĂ©tence du juge administratif. Il considĂšre en outre qu’il en va de mĂȘme du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchĂ© la responsabilitĂ© de cette personne publique Ă  raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait.

Il considĂšre qu’en l’espĂšce la SARL Boucherie Cannoise recherche la responsabilitĂ© de la commune de Cannes Ă  raison du retrait ou de l’absence d’exĂ©cution de la dĂ©libĂ©ration du 10 octobre 2016 du conseil municipal, qui dĂ©cide d’une modification du pĂ©rimĂštre ou de la consistance du domaine privĂ© de la commune et qu’il en rĂ©sulte qu’un tel litige relĂšve de la compĂ©tence de la juridiction administrative.

Darkstores : CE, 23 mars 2023, n° 468360, Ville de Paris, Lebon.

En rĂ©sumé : Des locaux initialement occupĂ©s par des commerces et dĂ©sormais destinĂ©s Ă  la rĂ©ception et au stockage ponctuel de marchandises afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs Ă  bicyclette doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des entrepĂŽts dont l’occupation est soumise Ă  dĂ©claration prĂ©alable.

Or le PLU de Paris interdit la transformation en entrepĂŽt de locaux existants en rez-de-chaussĂ©e, ce qui empĂȘche la rĂ©gularisation des sociĂ©tĂ©s occupantes.

Par arrĂȘtĂ©s des 17 et 24 juin 2022 la ville de Paris a mis en demeure la sociĂ©tĂ© Frichti de restituer dans leur Ă©tat d’origine les locaux qu’elle occupe Ă  trois adresses parisiennes, dans un dĂ©lai de trois mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par arrĂȘtĂ©s des 13, 24 et 29 juin et 15 et 28 juillet 2022, la ville de Paris a mis en demeure la sociĂ©tĂ© Gorillas Technologies France de restituer les entrepĂŽts situĂ©s Ă  six adresses parisiennes, dans un dĂ©lai de 3 mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par une ordonnance du 5 octobre 2022, contre laquelle la ville de Paris se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu ces décisions.

Le Conseil d’État considĂšre que les locaux occupĂ©s par les sociĂ©tĂ©s Ă©taient initialement des locaux utilisĂ©s par des commerces et sont dĂ©sormais destinĂ©s Ă  la rĂ©ception et au stockage ponctuel de marchandises afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs Ă  bicyclettes. Il considĂšre qu’ils ne constituent plus des locaux « destinĂ©s Ă  la prĂ©sentation et vente de bien directe Ă  une clientĂšle » et que, mĂȘme si des points de retrait peuvent y ĂȘtre installĂ©s, ils doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des entrepĂŽts au sens des dispositions du code de l’urbanisme (R. 151-27 et 28).

Le Conseil d’État considĂšre dĂšs lors que l’occupation de ces locaux par ces sociĂ©tĂ©s pour y exercer les activitĂ©s en cause constitue un changement de destination soumis, en application de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme, Ă  dĂ©claration prĂ©alable et que la ville de Paris Ă©tait en droit d’exiger des sociĂ©tĂ©s requĂ©rantes le dĂ©pĂŽt d’une dĂ©claration prĂ©alable.

Sur la question de la non-opposition à déclaration préalable

La commune de Paris soutenait en outre qu’une telle dĂ©claration prĂ©alable devait donner lieu Ă  opposition de la ville si bien que la situation des sociĂ©tĂ©s requĂ©rantes Ă©tait insusceptible d’ĂȘtre rĂ©gularisĂ©e.

Le Conseil d’État constate notamment que le PLU de la ville de Paris prĂ©voit que « la transformation en entrepĂŽt de locaux existants en rez-de-chaussĂ©e est interdite ».

Le Conseil d’État considĂšre qu’en l’espĂšce l’occupation des locaux a pour objet de permettre l’entreposage et le reconditionnement de produits non destinĂ©s Ă  la vente aux particuliers dans ces locaux, ce qui correspond Ă  une activitĂ© relevant de la destination « entrepĂŽt » telle que dĂ©finie par le PLU et que dĂšs lors, le moyen tirĂ© de ce qu’il n’était pas possible d’opposer les dispositions du rĂšglement du PLU interdisant la transformation en entrepĂŽt de locaux existants en rez-de-chaussĂ©e sur rue au changement de destination opĂ©rĂ©, n’est pas propre Ă  crĂ©er un doute sĂ©rieux sur la lĂ©galitĂ© des dĂ©cisions attaquĂ©es.

Bail emphytĂ©otique – prescription de l’action du bailleur contre l’empiĂštement du preneur : Cass. cv. 3Ăšme, 8 fĂ©vrier 2023, n° 21-20.535, publié :

En rĂ©sumé : l’empiĂštement dĂ©noncĂ© par un bailleur invoquĂ© au titre d’un manquement contractuel du preneur Ă  ses obligations issues du bail emphytĂ©otique est soumise Ă  la prescription quinquennale de droit commun.

En l’espĂšce le 25 septembre 1963, la SCI des Camoins a consenti Ă  la sociĂ©tĂ© Clinique un bail emphytĂ©otique d’une durĂ©e de 99 ans portant sur un terrain afin d’y construire une clinique de rhumatologie alimentĂ©e en eau thermale depuis la source situĂ©e sur une parcelle voisine, appartenant Ă©galement Ă  la SCI.

Le 6 novembre 1978, les parties ont modifiĂ© leurs relations contractuelles en concluant un protocole, un avenant au bail et un contrat de concession d’eau.

Invoquant des manquements du preneur Ă  ses obligations contractuelles, la SCI l’a assignĂ©e en rĂ©siliation du bail, du contrat de concession d’eau et du protocole, en expulsion et en paiement de redevances et de dommages et intĂ©rĂȘts.

La SCI demandait notamment des dommages et intĂ©rĂȘts fondĂ©s sur un empiĂštement imputable au preneur et reprochait Ă  la cour d’appel d’avoir dĂ©clarĂ© son action prescrite car exercĂ©e au-delĂ  du dĂ©lai de prescription quinquennal de droit commun.

La SCI considĂ©rait que le dommage nĂ© d’un empiĂštement est continu et que mĂȘme si l’action visant Ă  la rĂ©paration des dommages causĂ©s par un empiĂštement peut ĂȘtre regardĂ©e comme personnelle, elle doit ĂȘtre recevable, au moins dans la limite des cinq annĂ©es qui prĂ©cĂšde la demande, dĂšs lors que l’empiĂštement se poursuit et que l’action rĂ©elle n’est pas prescrite.

Or la Cour de cassation considĂšre que l’empiĂštement dĂ©noncĂ© par la SCI Ă©tait invoquĂ© au titre d’un manquement contractuel du preneur Ă  ses obligations issues du bail emphytĂ©otique et qu’en consĂ©quence la cour d’appel avait exactement retenu que cette action en responsabilitĂ© contractuelle Ă©tait soumise Ă  la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.

En l’espĂšce la SCI connaissait l’existence de l’empiĂštement au moins depuis le 22 avril 2008, date Ă  laquelle elle avait assignĂ© en rĂ©fĂ©rĂ© la sociĂ©tĂ© preneuse, il en rĂ©sultait que l’action exercĂ©e le 3 septembre 2018 Ă©tait prescrite.

Clause abusive et crédit immobilier : Cass. civ. 1Úre, 22 mars 2023, n° 21-16.044, publié.

En rĂ©sumé : la clause qui prĂ©voit la rĂ©siliation de plein droit du contrat de prĂȘt aprĂšs une mise en demeure de rĂ©gler une ou plusieurs Ă©chĂ©ances impayĂ©es sans prĂ©avis d’une durĂ©e raisonnable, crĂ©e un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties au dĂ©triment du consommateur, lequel est ainsi exposĂ© Ă  une aggravation soudaine de ses conditions de remboursement.

Par acte notariĂ© du 22 juillet 2008, une sociĂ©tĂ© a consenti un prĂȘt immobilier Ă  M. et Mme W. AprĂšs dĂ©chĂ©ance du terme, elle a engagĂ© une procĂ©dure d’exĂ©cution forcĂ©e sur des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ces derniers ont invoquĂ© le caractĂšre abusif de la clause de dĂ©chĂ©ance du terme et de la clause pĂ©nale.

La cour d’appel avait exclu le caractĂšre abusif de la clause stipulant la rĂ©siliation de plein droit du contrat de prĂȘt, huit jours aprĂšs une simple mise en demeure adressĂ©e Ă  l’emprunteur par lettre recommandĂ©e avec demande d’avis de rĂ©ception ou par acte extrajudiciaire, en cas de dĂ©faut de paiement de tout ou partie des Ă©chĂ©ances Ă  leur date ou de toute somme avancĂ©e par leur prĂȘteur.

La Cour de cassation rappelle, pour apprĂ©cier le caractĂšre abusif de cette clause, la jurisprudence europĂ©enne qui avait jugĂ© d’une part (CJUE, 26 janvier 2017, Branco Primus, C-421/14) qu’il incombait aux juridictions nationales d’examiner :

  • 1° si la facultĂ© laissĂ©e au professionnel de dĂ©clarer exigible la totalitĂ© du prĂȘt dĂ©pendait de l’inexĂ©cution par le consommateur qui prĂ©sentait un caractĂšre essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, 
  • 2° si cette facultĂ© Ă©tait prĂ©vue pour les cas dans lesquels une telle inexĂ©cution revĂȘtait un caractĂšre suffisamment grave au regard de la durĂ©e et du montant du prĂȘt, 
  • 3° si ladite facultĂ© dĂ©rogeait aux rĂšgles de droit commun applicables en la matiĂšre en l’absence de dispositions contractuelles spĂ©cifiques 
  • 4° et si le droit national prĂ©voyait des moyens adĂ©quats et efficaces permettant au consommateur soumis Ă  l’application d’une telle clause de remĂ©dier aux effets de ladite exigibilitĂ© du prĂȘt.

Et d’autre part (CJUE, 8 dĂ©cembre 2022, Caisse rĂ©gionale de crĂ©dit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21) que ce prĂ©cĂ©dent arrĂȘt devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens que les critĂšres qu’il dĂ©gageait pour l’apprĂ©ciation du caractĂšre abusif d’une clause contractuelle, notamment du dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, ne pouvaient ĂȘtre compris ni comme Ă©tant cumulatifs, ni comme Ă©tant alternatifs, mais devaient ĂȘtre compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concernĂ©.

En l’espĂšce, la Cour de cassation considĂšre que la clause qui prĂ©voit la rĂ©siliation de plein droit du contrat de prĂȘt aprĂšs une mise en demeure de rĂ©gler une ou plusieurs Ă©chĂ©ances impayĂ©es sans prĂ©avis d’une durĂ©e raisonnable, crĂ©e un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties au dĂ©triment du consommateur, lequel est ainsi exposĂ© Ă  une aggravation soudaine de ses conditions de remboursement.

Clause abusive et contrat de prĂȘt : Cass. civ. 1Ăšre, 22 mars 2023, n° 21-16.476, publié :

En rĂ©sumé : les juridictions du fond doivent examiner d’office le caractĂšre abusif de la clause des conditions gĂ©nĂ©rales de vente qui autorise la banque Ă  exiger immĂ©diatement la totalitĂ© des sommes dues au titre du prĂȘt en cas de dĂ©faut de paiement d’une Ă©chĂ©ance Ă  sa date, sans mise en demeure ou sommation prĂ©alable ni prĂ©avis d’une durĂ©e raisonnable.

En l’espĂšce, par acte notariĂ© du 4 dĂ©cembre 2009, une banque a consenti Ă  Mme S un prĂȘt immobilier en francs suisses, garanti par une hypothĂšque et comportant une clause de soumission Ă  l’exĂ©cution forcĂ©e immĂ©diate.

À la suite du dĂ©faut de paiement des Ă©chĂ©ances de ce prĂȘt, la banque a dĂ©livrĂ© Ă  l’emprunteuse un commandement aux fins de vente forcĂ©e.

Le 17 fĂ©vrier 2020, le tribunal de l’exĂ©cution forcĂ©e en matiĂšre immobilier a ordonnĂ© la vente forcĂ©e des immeubles garantis, fixĂ© le montant de la crĂ©ance et commis un notaire pour procĂ©der Ă  l’adjudication.

L’emprunteuse a formĂ© un pourvoi. Elle reproche notamment au juge de n’avoir pas soulevĂ© d’office le caractĂšre abusif de la clause du prĂȘt, conclu entre un professionnel et un consommateur, par laquelle le crĂ©ancier s’autorise, en raison d’un manquement du dĂ©biteur Ă  son obligation de rembourser une seule Ă©chĂ©ance du prĂȘt au jour prĂ©vu, de prononcer la dĂ©chĂ©ance du terme sans mise en demeure prĂ©alable et immĂ©diatement, sans prĂ©avis d’une durĂ©e raisonnable ni mĂ©canisme de nature Ă  permettre la rĂ©gularisation d’un tel retard de paiement.

La Cour de cassation vise d’abord la jurisprudence de la CJUE (8 dĂ©cembre 2022, caisse rĂ©gionale de CrĂ©dit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21) qui avait notamment jugĂ© que le droit europĂ©en (art. 4 de la directive 93/13) s’opposait Ă  ce que les parties Ă  un contrat de prĂȘt y insĂšrent une clause qui prĂ©voyait, de maniĂšre expresse et non Ă©quivoque, que la dĂ©chĂ©ance du terme du contrat pouvait ĂȘtre prononcĂ©e de plein droit en cas de retard de paiement d’une Ă©chĂ©ance dĂ©passant un certain dĂ©lai, dans la mesure oĂč cette clause n’avait pas fait l’objet d’une nĂ©gociation individuelle et crĂ©ait au dĂ©triment du consommateur un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties dĂ©coulant.

Elle considĂšre qu’en l’espĂšce la somme rĂ©clamĂ©e par la banque au titre du capital restant dĂ» et des Ă©chĂ©ances Ă©chues impayĂ©es Ă©tait exigible en application d’une clause des conditions gĂ©nĂ©rales du contrats de prĂȘt qui, en cas de dĂ©faillance de l’emprunteur, prĂ©voyait l’exigibilitĂ© immĂ©diate des sommes dues au titre des prĂȘts.

Elle sanctionne alors la cour d’appel de n’avoir pas examinĂ© d’office le caractĂšre abusif d’une telle clause autorisant la banque Ă  exiger immĂ©diatement la totalitĂ© des sommes dues au titre du prĂȘt en cas de dĂ©faut de paiement d’une Ă©chĂ©ance Ă  sa date, sans mise en demeure ou sommation prĂ©alable ni prĂ©avis d’une durĂ©e raisonnable.

Vice caché et phénomÚne naturel : Cass. civ. 3Úme, 15 juin 2022, n° 21-13.286, publié : 

En rĂ©sumé : un phĂ©nomĂšne extĂ©rieur, naturel, dont la survenance Ă©tait imprĂ©visible peut caractĂ©riser un vice dĂšs lors qu’il rend la chose impropre Ă  l’usage auquel on la destine ou qui en diminue tellement l’usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis, ou qu’à moindre prix

En l’espĂšce, par acte authentique du 14 novembre 2016, Mme L a vendu une maison d’habitation, situĂ©e prĂšs de l’ocĂ©an, Ă  Mme W.

Cette derniĂšre, invoquant un dĂ©faut d’information sur les nuisances liĂ©es Ă  l’échouage saisonnier d’algues sargasses, a assignĂ© la venderesse en annulation de la vente sur le fondement du dol et, subsidiairement, en rĂ©solution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachĂ©s.

La cour d’appel avait rejetĂ© la demande fondĂ© sur le dol en considĂ©rant que bien que la venderesse avait omis d’informer l’acquĂ©reur sur le phĂ©nomĂšne des Ă©chouages des algues sargasses qui affectait le bien vendu, elle avait considĂ©rait que l’acquĂ©reur n’avait pas Ă©tabli que la venderesse savait que ce mensonge portait sur un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant pour son contractant, ni qu’elle avait Ă©tĂ© informĂ© de la santĂ© fragile de l’acquĂ©reuse et de son fils.

La Cour de cassation sanctionne ce raisonne en considĂ©rant que la cour d’appel avait constatĂ© que la venderesse avait apportĂ© des rĂ©ponses mensongĂšres aux demandes rĂ©pĂ©tĂ©es de l’acquĂ©reuse relatives Ă  la prĂ©sence d’algues sargasse, avec la volontĂ© de tromper.

La cour d’appel avait Ă©galement rejetĂ© la demande fondĂ© sur le vice cachĂ© en retenant qu’un phĂ©nomĂšne extĂ©rieur, naturel, dont la survenance Ă©tait imprĂ©visible, ne constitue pas un vice cachĂ©.

Ici encore la Cour de cassation sanctionne le raisonnement de la juridiction du fond en considĂ©rant que la cour d’appel a ajoutĂ© Ă  la loi une restriction qu’elle ne comporte pas, le vice Ă©tant caractĂ©risĂ© dĂšs lors qu’il rend la chose impropre Ă  l’usage auquel on la destine ou qui en diminue tellement l’usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis, ou qu’à moindre prix.

En somme l’origine du vice est indiffĂ©rent, seul compte la diminution de l’usage de la chose acquise en raison de la prĂ©sence du vice.

Vice cachĂ© – apprĂ©ciation de la garantie : Cass. civ. 3Ăšme, 11 mai 2023, 21-25.480, inĂ©dit :   

En rĂ©sumé : le juge saisi d’une demande fondĂ©e sur la garantie des vices cachĂ©s doit rechercher si le vice diminue tellement l’usage de la chose que l’acquĂ©reur en aurait donnĂ© un prix moindre et ne peut se limiter Ă  rejeter la demande au motif que l’acquĂ©reur n’établit pas que le vice avait tellement diminuĂ© l’usage de la chose qu’il ne l’aurait pas acquise.

Par acte authentique du 31 août 2011, des SCI ont vendu à M. M une parcelle.

L’acquĂ©reur, invoquant l’existence de vices cachĂ©s rĂ©sultant de la prĂ©sence de dĂ©chets en sous-sol a, par acte du 16 octobre 2013, assignĂ© les vendeurs en dĂ©signation d’un expert aux fins d’estimation de la valeur rĂ©elle du terrain et en paiement de dommages et intĂ©rĂȘts.

L’acquĂ©reur reproche Ă  la cour d’appel d’avoir rejeter son action estimatoire au motif que celui-ci n’établissait pas que l’impossibilitĂ© d’établir un potager aurait tellement diminuĂ© l’usage du terrain qu’il ne l’aurait pas acquis, en effet l’acquĂ©reur considĂšre qu’il suffisait Ă  la cour d’appel, pour accueillir son action, que le vice litigieux diminue tellement l’usage de la chose vendue que l’acquĂ©reur en aurait donnĂ© un moindre prix s’il l’avait connu.

La cour d’appel avait en effet considĂ©rĂ© que l’usage principal de la parcelle tenait Ă  la construction d’une maison, qui n’avait Ă©tĂ© rendue difficile que pour des motifs Ă©trangers Ă  la prĂ©sence de dĂ©chets dans le sous-sol et que l’argument de l’impossibilitĂ© d’établir un potager n’était caractĂ©risĂ© par aucune constatation ou Ă©tude sĂ©rieuse et qu’il n’était pas Ă©tabli que cette circonstance aurait tellement diminuĂ© l’usage du terrain que l’acquĂ©reur ne l’aurait pas acquis.

La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement en considĂ©rant que la cour d’appel aurait dĂ» rechercher si le vice tenant Ă  la prĂ©sence de dĂ©chet dans le sous-sol du terrain sur toute sa superficie ne diminuait pas tellement son usage que l’acquĂ©reur n’en aurait pas donnĂ© qu’un moindre prix s’il l’avait su.

Qualification du contrat de fourniture et d’installation – Cass. civ. 1Ăšre, 17 mai 2023, n° 21-25.670, publié :

En rĂ©sumé : Le contrat mixte porte sur la livraison de biens ainsi que sur une prestation de service d’installation et de mise en service doit ĂȘtre qualifiĂ© de contrat de vente soumis au dĂ©lai de rĂ©tractation prorogĂ© de 12 mois en cas d’information erronĂ©e quant Ă  son point de dĂ©part.

En l’espĂšce, le 21 septembre 2017, N.Z. a conclu hors Ă©tablissement avec la sociĂ©tĂ© Media systĂšme un contrat de fourniture et d’installation de douze panneaux photovoltaĂŻques et d’un chauffe-eau thermodynamique dont le prix a Ă©tĂ© financĂ© par un crĂ©dit souscrit le 2 octobre par l’acquĂ©reur auprĂšs d’une banque.

Le 2 novembre 2017, N.Z. a établi une attestation de fin de travaux et de conformité conduisant la banque à débloquer le capital emprunté entre les mains de la société media systÚme.

Le 25 janvier 2018, N.Z. et son Ă©pouse ont informĂ© la sociĂ©tĂ© media systĂšme qu’il exerçaient leur droit de rĂ©tractation.

Les 30 et 31 mai 2018, ils ont assigné la société Media system et la banque en constat de la caducité des contrats.

La sociĂ©tĂ© media systĂšme reprochait Ă  l’arrĂȘt d’avoir constatĂ© l’exercice par les acquĂ©reurs de leur droit de rĂ©tractation dans le dĂ©lai lĂ©gal prorogĂ© de 12 mois sur le fondement de l’article L. 221620 du code de la consommation, de constater l’anĂ©antissement du contrat et de la condamner Ă  venir rĂ©cupĂ©rer Ă  ses frais les Ă©lĂ©ments installĂ©s et procĂ©der Ă  la remise en Ă©tat..

En effet elle considĂ©rait que la fourniture et la pose d’un dispositif destinĂ© Ă  produire de l’énergie relĂšve du contrat de prestation de service, de sorte que le point de dĂ©part du dĂ©lai de rĂ©tractation du consommateur doit ĂȘtre fixĂ© au jour de la conclusion du contrat.

La Cour de cassation rappelle que les dispositions du code de la consommation prévoient que le contrat ayant pour objet à la fois la fourniture de prestation de service et la livraison de biens est assimilé à un contrat de vente.

Elle prĂ©cise que le consommateur dispose d’un dĂ©lai de rĂ©tractation de 14 jours qui, lorsque les informations relatives Ă  celui-ci n’ont pas Ă©tĂ© fournies au consommateur, est prolongĂ© de douze mois Ă  compter de l’expiration du dĂ©lai de rĂ©tractation initial.

Elle considĂšre ensuite que le contrat litigieux avait pour objet la fourniture d’un kit photovoltaĂŻque et d’un chauffe-eau, leur installation complĂšte et leur mise en service. Elle en dĂ©duit que ce contrat mixte porte sur la livraison de biens ainsi que sur une prestation de service d’installation et de mise en service et qu’il devait ĂȘtre qualifiĂ© de contrat de vente.

Elle constate que le bon de commande comportait une information erronĂ©e quant au point de dĂ©part du dĂ©lai de rĂ©tractation et en dĂ©duit que ce dĂ©lai, prorogĂ© de douze mois, n’était pas expirĂ© lorsque les acquĂ©reurs se sont rĂ©tractĂ©s de leur engagement et qu’en consĂ©quence les contrats de vente et de crĂ©dit affectĂ© avaient pris fin.

Elle rejette le pourvoi formĂ© par la sociĂ©tĂ© et, en l’absence de doute raisonnable sur l’interprĂ©tation du droit de l’Union europĂ©enne, rejette la demande de saisine de la CJUE d’une question prĂ©judicielle.

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