• TEXTES 

Accès facilité à l’assurance emprunteur : nouvelles dispositions au 1er juin 2022

Pour mémoire, la « loi Lemoine » entérine trois évolutions majeures au bénéfice du consommateur (V. JCP N 2022, n° 10, act. 341) :

  • un droit de résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur. Le texte ouvre la possibilité pour toutes les personnes qui ont contracté un prêt immobilier de résilier et donc de changer à tout moment et sans frais leur assurance emprunteur. Cette mesure s’applique le 1er juin 2022 pour les nouvelles offres de prêts et, à partir du 1er septembre 2022, pour les contrats d’assurance en cours. Les assureurs devront informer chaque année leurs assurés de ce droit de résiliation et auront l’obligation d’afficher le coût de l’assurance emprunteur pour 8 ans ;
  • une assurance emprunteur plus accessible pour les malades. Le texte traite également du droit à l’oubli pour les anciens malades qui souhaitent contracter un crédit immobilier. Actuellement le dispositif du droit à l’oubli concerne les personnes ayant souffert d’un cancer. Ce droit à l’oubli est fixé à 10 ans, sauf pour les cancers survenus avant l’âge de 18 ans pour lesquels le délai est réduit à 5 ans. 
  • enfin, la suppression du questionnaire médical pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 € et arrivant à échéance avant les 60 ans de l’emprunteur. Ce plafond s’applique par personne, donc en cas d’emprunt par un couple, il sera de 400 000 €.

• Entrée en vigueur : Cette mesure entre en vigueur au 1er juin 2022 et le plafond des 200 000 € s’appliquera « par assuré » et sur « l’encours cumulé des contrats de crédit ».

 

Bonification pour les ménages en situation de précarité énergétique

Un arrêté du 13 mai 2022 modifie l’arrêté du 29 décembre 2014 qui précise les modalités d’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie (A. n° DEVR1428328A, 29 déc. 2014). Il prévoit de reculer du 30 avril 2022 au 31 août 2022 la date limite d’achèvement des opérations concernées par la bonification au bénéfice des ménages en situation de précarité énergétique, prévue à l’article 6-1, hors opérations relatives aux fiches d’opérations standardisées BAR-EN-101 « Isolation de combles ou de toitures » et BAR-EN-103 « Isolation d’un plancher ». Il modifie, de plus, l’arrêté du 10 décembre 2021 modifiant l’arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie afin d’appliquer les nouvelles dispositions relatives au Coup de pouce « Rénovation performante d’une maison individuelle » aux opérations engagées à compter du 1er janvier 2022 ou achevées à compter du 1er janvier 2023 (au lieu des opérations engagées à compter du 1er janvier 2022 ou incluses dans un dossier de demande de certificats d’économies d’énergie déposé à compter du 1er juillet 2022).

 

Les modalités de versement du fonds de dotation sont fixées

Un décret du 16 mai vient préciser les règles de versement dans le cadre d’un fonds de dotation. En effet, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a consacré ses articles 17 et 22 au renforcement du contrôle de ces fonds de dotation par l’autorité préfectorale (L. n° 2021-1109, 24 août 2021, art. 17 et 22 : JO 25 août 2021, texte n° 1 ; V. JCP N 2021, n° 36, act. 843). Sans remettre en cause le régime déclaratif de création des fonds de dotation, l’article 17 renforce les moyens de contrôle a posteriori et les pouvoirs de sanction dont dispose l’autorité préfectorale. L’article 22 soumet les fonds de dotation à l’article 4-2 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat qui fait obligation de présenter dans un état séparé des comptes les ressources et avantages consenties par une personne physique ou morale étrangère.

 

Le décret du 16 mai 2022 précise ainsi les modalités de versement de la dotation initiale et étend le recours obligatoire à un comité consultatif. Il précise en outre le contenu des déclarations de création et de modifications des statuts, du rapport d’activité et des comptes annuels, et notamment les modalités d’information et de justification de la perception et de l’utilisation de ressources ou avantages provenant de l’étranger. Il prévoit par ailleurs la transmission dématérialisée des documents à l’autorité administrative.

 

Concernant le contrôle de l’autorité administrative, le décret précise les conditions et modalités de la suspension de l’activité d’un fonds de dotation par l’autorité préfectorale et définit les différents cas de dysfonctionnement susceptibles d’entraîner une suspension ou une saisine des autorités judiciaires en vue d’une dissolution. Il tire enfin les conséquences de la nouvelle terminologie adoptée dans la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 visant à améliorer la trésorerie des associations (L. n° 2021-875, 1er juill. 2021 : JO 2 juill. 2021, texte n° 2), du principe de gratuité des publications au Journal officiel de la République française issu de l’arrêté du 25 novembre 2019 modifiant l’arrêté du 9 novembre 2017, et de l’abrogation de l’article R. 931-10-21 du Code de la sécurité sociale relatif aux actifs éligibles aux placements des fonds de dotation.

 

  • JURISPRUDENCE

 

Suppression d’un office notarial et attribution des minutes : quel est le juge compétent ?

CE, 14 avr. 2022, n° 459310

La suppression d’un office a pour effet de réduire la présence notariale. À l’inverse des créations, elle peut diminuer le dynamisme de la profession et « elle ne doit donc être décidée que lorsqu’elle apparaît inéluctable » 

Cette suppression ne peut intervenir qu’à la suite du décès, de la démission ou de la destitution du titulaire, de la dissolution d’une société professionnelle titulaire d’un office notarial ou de la mise à la retraite du titulaire d’un office alsacien-mosellan. Elle a notamment pour conséquence que les minutes, pièces et documents – qui sont énumérés à l’article 13 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 – sont attribués, à titre provisoire ou définitif, à un ou plusieurs notaires (D. n° 71-942, 26 nov. 1971, art. 14, al. 3 et 4 : JO 3 déc. 1971) ou à titre provisoire à une chambre des notaires. Une fois l’attribution définitive, le notaire attributaire est habilité à en délivrer des copies authentiques.

 

C’est dans ce contexte qu’une étude notariale guadeloupéenne a été dissoute par un arrêté du ministre de la Justice. Ce dernier a désigné, à titre provisoire, la Chambre départementale des notaires de Guadeloupe en qualité d’attributaire des minutes, avant qu’un second arrêté ne désigne, à titre définitif, un autre office notarial en qualité d’attributaire. Ayant désiré contester ces arrêtés pour excès de pouvoir, l’office supprimé a alors estimé que ce litige relevait de la compétence du Conseil d’État. En effet, et par mimétisme, le juriste sait que les juges du Palais-Royal ont longtemps considéré que les décisions de création d’un office notarial (CE, 3 déc. 1976, n° 96769, Jacquinot : Lebon, p. 532) ou de création d’un bureau annexe (CE, 17 déc. 1997, n° 147691, Desmots : Lebon T., p. 630 et 1050) avaient un caractère réglementaire. Or, depuis la réforme opérée par le décret n° 2010-164 du 22 février 2010, l’intervention du Conseil d’État comme juge de premier et dernier ressort est limitée aux actes individuels ou réglementaires ayant une certaine portée, soit par leur objet, soit par leur auteur (CJA, art. R. 311-1).

 

Aussi, les arrêtés litigieux en faisaient-ils partie ? Une réponse négative vient d’être apportée par les juges du Palais-Royal, car « les décisions par lesquelles le garde des Sceaux, ministre de la Justice, dissout une société, supprime un office notarial et désigne, à titre provisoire puis à titre définitif, l’attributaire des minutes de l’office ainsi supprimé n’ont pas, par elles-mêmes, pour objet d’assurer l’organisation du service public notarial et sont, dès lors, dépourvues de caractère réglementaire ». Cette solution est en parfaite cohérence avec les récentes jurisprudences du Conseil d’État selon laquelle les décisions créant un nouvel office (CE, 28 déc. 2018, n° 409441 : JurisData n° 2018-024210), déclarant vacant un office existant et ouvrant la procédure de candidature à la nomination dans cet office (CE, 12 févr. 2020, n° 418880 : JurisData n° 2020-001882 ; JCP N 2020, n° 9, act. 246, obs P. Noual), rejetant une candidature (CE, 25 juin 2018, n° 412970 : JurisData n° 2018-011311) ou nommant un candidat (CE, 25 juin 2018, n° 414866) sont dépourvues de caractère réglementaire.

 

En conséquence, les arrêtés litigieux n’entraient pas dans le champ de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative et leur contestation relevait bien du tribunal administratif, seul compétent pour connaître de l’affaire en premier ressort (CJA, art. R. 312-10). Encore une fois, le contentieux des études notariales ne cesse de susciter la curiosité de l’ordre administratif et ce nouveau témoignage du Conseil d’État permet de clarifier un peu plus la nature et la portée des arrêtés du ministre de la Justice en matière notariale.

 

Article L. 145-41 du Code de commerce et baux commerciaux statutaires

Dans une décision du 11 mai 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé qu’un congé, délivré avant le terme du dernier des baux dérogatoires successifs, dont la durée cumulée ne dépasse pas la durée légale, et qui manifeste la volonté des bailleurs de ne pas laisser le locataire se maintenir dans les lieux, le prive de tout titre d’occupation à l’échéance de ce bail.

 

Dès lors, une cour d’appel, qui relève qu’un contrat de bail dérogatoire comprend une clause de renouvellement tacite et que les bailleurs ont fait connaître leur volonté de ne pas poursuivre le bail tacitement renouvelé, en a exactement déduit que le locataire ne pouvait se prévaloir d’un défaut de respect des dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce, applicables aux seuls baux commerciaux statutaires.

 

Portée de l’acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail

Dans un arrêt du 11 mai 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que l’acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d’une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste sa volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement.

Encourt, dès lors, la censure, l’arrêt qui accueille la demande en constatation de la résiliation du bail alors que le bailleur, en notifiant au locataire l’acceptation du principe du renouvellement du bail postérieurement au commandement visant la clause résolutoire dont les effets n’avaient pas été constatés judiciairement, avait renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées à ce commandement.

 

Il est rappelé par la Cour de cassation, dans son arrêt, que :

  • dans les trois mois de la notification de la demande du preneur en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s’il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. À défaut d’avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent (C. com., art. L. 145-10, al. 4) ;
  • le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l’article L. 145-9 du Code de commerce ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l’article L. 145-10, faire connaître le loyer qu’il propose (C. com., art. L. 145-11).

Pour les juges du droit, il en résulte que l’acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d’une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste la volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement.

 

Divorce, procédure collective et sort du logement familial

Dans une décision du 18 mai 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce que seule la résidence principale du débiteur est protégée par l’insaisissabilité légale instaurée par l’article L. 526-1 du Code de commerce.

Lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l’un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l’entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l’entrepreneur, à l’égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n’est plus située dans l’immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu’il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de son activité professionnelle.

Par conséquent, a violé les articles L. 526-1 du Code de commerce et 255, 3° et 4°, du Code civil la cour d’appel qui, pour déclarer irrecevable la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l’immeuble au titre des opérations de liquidation, retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l’épouse de l’entrepreneur est sans effet sur les droits de ce dernier sur le bien et sur son insaisissabilité légale.

 

  • ECHOS ET OPINIONS 

 

Les outils de la planification dans un contexte international : testament, donation, trust

Atténuation des frontières entre les États, intensification des relations humaines transfrontalières, le droit fait aujourd’hui face à des enjeux nouveaux à une échelle internationale. Dans ce contexte, le colloque annuel de l’Association inter-masters de Droit notarial d’Île-de-France s’est tenu le 14 avril 2022 sur le thème « Les outils de planification dans un contexte international : testament, donation, trust ». Au vu de l’actualité du sujet et de la qualité des différentes interventions, la conférence a permis l’appréhension des défis de transmission par un auditoire attentif et séduit.

 

Les différents ordres juridiques sont profondément marqués par l’influence des mouvements majeurs que sont la mondialisation et les échanges internationaux. Cette soirée a été l’occasion d’en évoquer les conséquences sur la pratique notariale.

 

Conséquences de la mondialisation et des échanges internationaux sur la pratique notariale. – Après une fine contextualisation par Bertrand Savouré, notaire associé au sein du groupe Althémis, la conférence a été organisée en 3 temps. Christina Melady et Orianne Acheriteguy, avocats associés au sein du Cabinet Deloitte avocats, ont ouvert les débats par la présentation de la notion de trust aux États-Unis, permettant ainsi d’aborder la question de l’intégration d’un concept étranger au sein de notre système de droit continental. Face aux enjeux de l’anticipation patrimoniale, le trust apparaît comme un outil efficace dans la gestion du patrimoine sur plusieurs générations, dans la sauvegarde du patrimoine familial et dans la protection du conjoint survivant. Dans cette perspective et conformément au principe d’autonomie des volontés en matière contractuelle, la jurisprudence française (CA Paris, 10 janv. 1970, Courtois c/ Cts de Ganay. – Cass. 1re civ., 20 févr. 1996, n° 93-19.855 : JurisData n° 1996-000478 ; Zieseniss, Bull. civ. I, n° 93) et le règlement européen en date du 4 juillet 2012 (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 650/2012, 4 juill. 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen : JCP N 2012, n° 35, act. 785), dit « règlement successions », ont été amenés à reconnaître la validité et l’efficacité de ce mécanisme dans notre ordre juridique.

 

La question de l’exportation de nos institutions françaises a été en second lieu abordée par Bertrand Savouré. L’instrumentalisation d’une donation ou d’un testament en France n’assure pas la réalisation de ses effets à l’étranger. Par conséquent, leur validité et leur efficacité doivent être garanties par le notaire, démontrant à nouveau la place essentielle qu’il tient dans un contexte supranational.

 

• Tout d’abord, s’agissant des donations sur un plan civil, il convient ainsi d’anticiper les lois applicables à la forme, à la validité, à la capacité des parties, aux biens et aux effets successoraux dont les règles de conflit sont fixées par divers règlements et conventions. Sur un plan fiscal et à défaut de conventions à titre particulier conclu avec un État, les règles françaises de droit international privé de l’article 750 ter du CGI trouvent à s’appliquer au risque de provoquer une double imposition.

 

• S’agissant des testaments ensuite, le règlement successions a renforcé la circulation des actes et leur exécution au sein de l’UE. La Convention de Washington du 26 octobre 1973 avait par ailleurs permis une fusion des conditions de droit civil et de common law afin d’assurer une validité des testaments à l’étranger.

 

Actes courants et techniques contractuelles

« Les actes courants et les techniques contractuelles » constituent le quotidien du notaire. Catégorie transversale, elle amène à aborder tant le droit commun des contrats que le droit des contrats spéciaux, le régime des obligations ou des questions plus spécifiques se rapportant par exemple au droit de l’environnement. Cette chronique propose une analyse des principaux textes et des principales décisions entre janvier 2021 et février 2022.

 

Même si les contrats préparatoires concentrent une grande partie de la jurisprudence, les actes périphériques et les autres contrats spéciaux ont donné lieu à d’importantes décisions sur des sujets sensibles tels que la commission des intermédiaires immobiliers, la lésion ou la responsabilité des professionnels. Les réformes législatives ne doivent pas être négligées, celles du droit des sûretés et, plus incidemment, les nouveaux textes relatifs aux questions environnementales1.

 

Entrée en jouissance anticipée et convention d’occupation précaire. – L’entrée en jouissance peut être déconnectée du transfert de propriété. L’acheteur peut ainsi entrer dans les lieux avant même la réitération des consentements devant notaire. Si cette entrée en jouissance anticipée doit être déconseillée par le notaire, lorsqu’elle est mise en place, quelle convention doit servir de véhicule juridique pour concilier au mieux liberté et sécurité ? Tel est l’enseignement de l’arrêt non publié rendu par la troisième chambre civile le 6 mai 2021 ( Cass. 3e civ., 6 mai 2021, n° 20-10.992 : JurisData n° 2021-007021  ; Loyers et copr. 2021, comm. 125, note B. Vial-Pedroletti). En l’espèce, une promesse de vente a été conclue sous condition suspensive d’obtention d’un prêt. Le même jour, devant notaire, alors que la condition est encore pendante, une convention d’occupation précaire est conclue afin d’autoriser l’acheteur à occuper le bien pendant une durée de 9 mois en attendant la réitération de l’acte de vente devant notaire. Le prêt est refusé, la réitération ne se fait pas et pourtant l’acquéreur refuse de quitter les lieux. Le vendeur assigne l’acquéreur afin d’obtenir son expulsion, le paiement de l’indemnité d’occupation et des dommages et intérêts. L’acquéreur réplique en demandant la nullité d’une convention qu’il juge illicite afin d’obtenir la requalification en bail d’habitation et profiter ainsi des règles très protectrices de la loi du 6 juillet 1989. La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’acheteur : « 5. la cour d’appel a relevé que l’intention commune des parties, expressément consignée dans l’acte du 30 juin 2016, avait été de permettre à [l’acquéreur], moyennant une redevance modique, d’occuper les lieux pendant une durée de neuf mois, expirant le 31 mars 2017, en l’attente de la signature de l’acte authentique de vente qui était conditionnée par l’obtention d’un crédit immobilier. 6. Elle a ainsi caractérisé l’existence de circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties, permettant de retenir la qualification de convention d’occupation précaire et justifiant le rejet de la demande de requalification du contrat en bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 ». L’arrêt confirme que le recours à la convention d’occupation précaire ne doit pas servir à contourner l’application des règles impératives telles que le statut du bail commercial ou du bail d’habitation. Des circonstances particulières permettent de déroger aux statuts impératifs. Une jurisprudence constante (V. pour le bail d’habitation, Cass. 3e civ., 31 janv. 2012, n° 10-28.591 : JurisData n° 2012-003172 ; Loyers et copr. 2012, comm. 131, note B. Vial-Pedroletti. – Pour le bail commercial, Cass. com., 22 oct. 1951 : JCP G 1951, II, 6648, obs. J.-G. L.) et parfois la loi (C. com., art. L. 145-5-1 relatif aux baux commerciaux [issu de la L. n° 2014-626, 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : JO 19 juin 2014, texte n° 1]) sont en ce sens. La précarité ne doit pas dépendre exclusivement de la volonté des parties et doit être justifiée par des circonstances particulières, précarité qui est une notion qualitative et non purement quantitative. La précarité peut être d’une longue durée. Un prêt à venir, comme en l’espèce, suffit à valider le recours à ce type de convention (Cass. 3e civ., 31 janv. 2012, n° 10-28.591, FS-P+B : JurisData n° 2012-003172).

Conseil pratique :

L’entrée en jouissance anticipée ne devrait être soutenue par le notaire qu’une fois le financement confirmé. Elle doit s’accompagner d’un arsenal de clauses sécurisant les droits du vendeur (anticiper sur les conséquences fiscales, clauses organisant la jouissance du bien et clauses organisant la restitution du bien.

 

4. Obligations et garanties

Risque environnemental et précautions rédactionnelles : Les rédacteurs d’actes en général et les notaires en particulier doivent désormais avoir le « réflexe environnemental ». Non seulement, ils doivent servir de relais aux règles étatiques impératives, constituées le plus souvent d’obligations administratives, dont les notaires assurent l’effectivité, mais aussi ils doivent jouer le rôle de relais des parties afin de satisfaire leur attente environnementale, en garantissant par des montages adaptés la pleine efficacité de leurs actes. Effectivité des règles étatiques, efficacité des actes des parties, tels sont les deux objectifs que doit concilier en permanence le notaire rédacteur. Le notaire doit avoir pleinement connaissance des règles en vigueur et doit rédiger des clauses sur mesure qui peuvent, en cas de maladresse, constituer un véritable piège pour les parties. Un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre 2021 concentre quelques sujets sensibles liés à la vente d’un bien pollué ou potentiellement pollué ( Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, n° 20-15.354 et 20-16.156 : JurisData n° 2021-015436  ; Constr.-Urb. 2021, comm. 134, note Ch. Sizaire. – Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, n° 20-18.665, FS-D  : Énergie – Env. – Infrastr. 2021, comm. 91, note A. Muller-Curzydlo. – Cass. 3e civ., 16 févr. 2022, n° 20-19.047 : JurisData n° 2022-002157  ; Constr.-Urb. 2022, comm. 54, note M.-L. Pagès-de Varenne. – Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-21.439 : JurisData n° 2021-019911  ; JCP N 2022, n° 13, 1127, note Ch.-É. Bucher). En l’espèce, la société Total Mayotte conclut un contrat d’échange par acte authentique le 29 mars 2010 avec la société NEL. Cet échange a pour objet une parcelle de terrain sur laquelle la société Total avait exploité une station-service de distribution de carburants de 2004 à 2010. L’acte comportait une clause de « dépollution » qui s’ajoutait à un rapport de synthèse de « dépollution » établi en avril 2008. Dans les mois qui ont suivi la vente, le 31 mai 2010, la société NEL cède cette parcelle à la société KAWENI et cette dernière conclut un bail avec la société SODIFRAM pour l’édification de parkings, bureaux et commerces. En octobre 2013, lors de travaux, une pollution aux hydrocarbures est découverte sur le terrain cédé. La société KAWENI, sous-acquéreur, et la société SODIFRAM, locataire, ont assigné les deux vendeurs, la société Total Mayotte et la société NEL en réparation des préjudices causés au fondement de l’obligation de délivrance conforme et de la garantie des vices cachés. La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a jugé le 4 février 2020 que le bien vendu n’était pas conforme aux termes du contrat qui évoquait une « dépollution du terrain », faisant droit à la demande d’indemnisation des demanderesses, pour manquement à l’obligation de délivrance conforme. La société NEL et la société Total Mayotte ont été condamnées in solidum. Sur pourvoi de la société NEL, l’arrêt de la cour d’appel est censuré au visa des articles 1603, 1604 et 1641 du Code civil : « […] Pour juger que la société NEL n’avait pas satisfait à son obligation de délivrance conforme, l’arrêt retient que la parcelle que la société station KAWENI destinait à la construction de parkings, commerces et bureaux s’est trouvée inconstructible en raison de la présence d’hydrocarbures imputable au manquement de la société Total Mayotte à son obligation de délivrance, à la société NEL, d’un terrain dépollué. En statuant ainsi, alors que la clause de pollution n’avait pas été reprise dans l’acte de vente conclu entre les sociétés NEL et station KAWENI et que l’inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Sans entrer dans le détail d’une solution riche en information, l’arrêt donne l’occasion de rappeler des principes et de souligner les doutes qui se dégagent de l’appréciation des juges. D’une part, l’inconstructibilité découlant de l’état de pollution d’un terrain relève en droit privé de la garantie des vices cachés et non de l’obligation de délivrance conforme (délai de 2 ans dont on ne sait s’il est enfermé dans un délai butoir de 20 ans [C. civ., art. 2232] ou de 5 ans [C. civ., art. 2224], Cass. 3e civ., 16 févr. 2022, n° 20-19.047 . – Pour un délai butoir à l’aune de l’article 2232 du Code civil, Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-21.439 ). Notons que les clauses de non-garantie, au-delà des seules obligations administratives d’ordre public, sont valables sauf connaissance du vice par le vendeur, connaissance présumée lorsque le vendeur est un professionnel et l’acquéreur un non-professionnel ou un professionnel qui n’est pas de la même spécialité (pour une illustration, Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, n° 20-18.665, FS-D  : « 12. D’une part, la cour d’appel a retenu qu’il était établi que la société Sagana, qui exploitait une installation classée pour la protection de l’environnement depuis 1948 sans avoir cessé juridiquement son activité à la date de la vente, avait fait une fausse déclaration sur ses obligations au regard de la législation sur les installations classées devant le notaire chargé de la vente de son bien immobilier. 13. Elle en a exactement déduit, sans faire application des sanctions prévues par l’article L. 514-20 du code de l’environnement en cas de simple défaut d’information, que cette faute intentionnelle du vendeur rendait sans effet la clause de garantie mise à la charge de l’acquéreur “au titre de toute pollution qui pourrait survenir ultérieurement” »). D’autre part, le défaut de conformité prévaut dès lors qu’il s’agit d’un bien délivré non conforme aux stipulations contractuelles particulières (sur ce point, R. Boffa, La destination de la chose, th. Montpellier, préf. M.-L. Mathieu-Izorche : Defrénois, coll. Doctorat & Notariat, 2008, n° 33). C’est le cas en l’espèce, puisque, par une clause maladroite évoquant la « dépollution », le vendeur s’est engagé au-delà de ce que pourraient imposer les obligations administratives de remise en état ou de réhabilitation. 

Conseil pratique :

Il convient de rédiger des clauses dans la stricte limite des obligations administratives et, dans la mesure du possible, en utilisant la même terminologie que la réglementation en vigueur. En outre, un audit juridique des textes applicables, des débiteurs potentiels et de l’historique de la chaîne des actes conclus s’impose afin d’identifier la nature des clauses et leur efficacité.

 

Le notaire et le séquestre. – Le notaire, dans le cadre de ses activités, se trouve fréquemment commis soit conventionnellement, soit judiciairement en qualité de séquestre de sommes d’argent dépendant notamment d’un acte de son ministère (prix de vente, soulte en suite de partage, indemnités d’immobilisation, dépôts de garantie…) lié en général à un contentieux entre les parties au contrat ( Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n° 20-11.853 : JurisData n° 2021-016778  ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 21, note Ph. Pierre. – Cass. 3e civ., 12 mai 2021, n° 19-25.393 : JurisData n° 2021-007145  ; RD bancaire et fin. 2021, comm. 99, note D. Legeais). Il appartient cependant au notaire de bien faire définir par les parties requérantes, notamment dans le cadre du séquestre conventionnel, le périmètre de sa mission : elle consiste en général à conserver un prix compte tenu d’un contentieux né entre les parties au contrat empêchant la remise du prix en totalité ou partiellement à son bénéficiaire et à ne débloquer ce prix à son destinataire qu’une fois obtenu la preuve de la purge du contentieux cause de la mission de séquestre. Tel est bien l’esprit de la mission confié à un séquestre quelle que soit sa qualité aux termes de l’article 1956 du Code civil. Autant il est aisé de définir la cause du séquestre, autant le terme de la mission de la personne désignée séquestre, et donc le déblocage et la remise de la somme séquestrée au bénéfice de la personne ayant vocation à toucher cette somme, peut s’avérer source de responsabilité contractuelle ou délictuelle du séquestre notamment lorsqu’il s’agit d’un séquestre « professionnel ». En effet, l’appréciation de la fin de la mission, et donc la remise des fonds au bénéficiaire potentiel en vertu du contrat originaire, ne dépend pas de la seule volonté des parties au contrat ayant ordonné la mission de séquestre dans l’attente de la résolution d’un contentieux, mais concerne également des tiers concernés par le contrat et ayant des droits à faire prévaloir sur la somme séquestrée. L’article 1960 du Code civil rappelle opportunément que le dépositaire ne peut être déchargé avant la contestation terminée, cette décharge supposant certes l’accord des parties à l’origine du contrat querellé mais aussi « toutes les parties intéressées ». Un arrêt du 20 janvier 2021 ( Cass. 1re civ., 20 janv. 2021, n° 19-18.567 : JurisData n° 2021-001048 ) a engagé la responsabilité délictuelle d’un notaire pour avoir remis prématurément un prix au vendeur au contrat alors que le déblocage du prix suppose non seulement l’avis et l’ordre des parties intéressées – les cocontractants – mais aussi de « toutes les personnes qui ont un intérêt sur la chose séquestrée ». En l’espèce, un tiers ayant fait des travaux qui lui avaient été confiés d’un commun accord par le vendeur et l’acquéreur, le financement de ces travaux étant la cause du séquestre du prix, a subi un préjudice du fait d’une remise directe du prix aux parties au contrat sans vérifier si le prestataire ayant réalisé ces travaux avait été effectivement payé de la totalité du prix de son intervention. Cet arrêt rappelle opportunément aux notaires le devoir de vérification qui leur incombe pour obtenir des éléments probatoires suffisants quant à la fin de la contestation ou du contentieux à l’origine de la mission de séquestre de manière à s’assurer que toutes les parties ayant un intérêt, notamment financier – parties au contrat mais également tiers au contrat intéressés, en général créanciers d’une des parties contractantes – ont bien été consultés et ont donné leur accord à la remise de la somme séquestrée ou d’une partie de cette somme au bénéficiaire. Le notaire n’est pas juge de la fin du contentieux cause de la mission de séquestre ; dans les missions traditionnellement rencontrées dans sa pratique professionnelle, il lui appartient certes d’avoir un document signé des parties à l’origine de la mission de séquestre mais aussi des tiers intéressés le plus fréquemment créanciers d’un cocontractant ; il est patent que la responsabilité du notaire peut être engagée dans le cas où, séquestre du prix de vente d’un fonds de commerce, il libère une fraction du prix au vendeur, en refusant une opposition émanant d’un créancier alors que le notaire n’est en aucun cas juge de la validité de l’opposition ; en cas de désaccord entre le vendeur et le créancier opposant, il appartient au notaire d’attendre que le contentieux soit tranché de manière définitive par le tribunal compétent. Il en va de même dans le droit de la copropriété où les désaccords relatifs à une opposition faite par le syndic à l’encontre du vendeur d’un lot de copropriété bloquent la partie du prix retenue en séquestre jusqu’à la décision judiciaire appréciant la validité ou le rejet de l’opposition formuée par le syndic (L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 20 : JO 11 juill. 1965). Un arrêt du 12 mai 2021 ( Cass. 3e civ., 12 mai 2021, n° 19-25.393 ) est instructif quant aux modalités à respecter pour la consignation d’un prix de vente aux fins de purge des inscriptions hypothécaires afin de libérer l’acquéreur du droit de suite attaché aux hypothèques prises contre le vendeur. La consignation prévue à l’article 2467 du Code civil n’est pas conforme si elle consiste en un simple dépôt par le notaire du prix de vente sur son compte de dépôt obligatoire ouvert à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Le seul avis d’opéré ou avis de versement du prix sur le compte CDC du notaire ne saurait suffire à la preuve d’une consignation régulière qui doit être faite dans le cadre de la procédure de purge hypothécaire et respecter le formalisme prévu à l’article R. 518-31 du Code monétaire et financier obligeant à la délivrance d’un récépissé émanant de la caisse et énonçant les causes de l’ouverture de la consignation auprès de la CDC. La mission de séquestre confiée au notaire est le prolongement naturel des suites des contrats qu’il authentifie mais demeure source d’obligations positives à la charge de l’officier public pour assurer la sécurité juridique des parties intéressées au contrat de séquestre dans l’esprit de l’article 1960 du Code civil.

 

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