• TEXTES
Garantie collective des notaires : publication du taux de la cotisation 2022
NOTAIRE
Par arrêté du 17 janvier 2022, le taux de la cotisation prévue à l’article 7 du décret du 29 février 1956, due par chaque notaire pour l’année 2022, est fixé à 0,25 % de la moyenne de ses produits totaux réalisés au cours des années 2019 et 2020.
Il est appliqué aux notaires dont la moyenne des produits totaux des années 2019 et 2020 est inférieure à 180 000 €, une décote dans les limites ci-après :
- pour les notaires dont la moyenne des produits totaux est inférieure à 140 000 €, la décote est de 100 % ;
- pour les notaires dont la moyenne des produits est inférieure à 160 000 €, la décote est de 50 % ;
- pour les notaires dont la moyenne des produits est inférieure à 180 000 €, la décote est de 25 %.
- JURISPRUDENCE
Requalification d’un pacte tontinier en donation déguisée et rapport des libéralités
SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS
Dans une décision du 12 janvier 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que lorsque le pacte tontinier (une convention que l’on insère dans un acte d’acquisition d’un bien immobilier) compris dans l’acte d’achat de l’appartement constitue une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil.
En l’espèce, un défunt laisse pour lui succéder le 27 juin 2013 son épouse et ses deux enfants issus d’un précédent mariage. Par acte du 2 mai 2013 contenant un pacte tontinier, il avait acquis un appartement avec son épouse. Des difficultés surviennent lors des opérations de partage de la succession.
L’arrêt d’appel (CA Colmar, 19 déc. 2019) ordonne le rapport à la succession de la donation déguisée au profit de l’épouse, constituée par le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel.
Selon l’article 758-6 du Code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1. Aussi, il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6. La cour d’appel ayant retenu que le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement constituait une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, il s’ensuit que cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil.
Inapplicabilité de la présomption de dispense de rapport des legs au conjoint survivant
SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS
Dans une décision du 12 janvier 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’en cas de legs particulier consenti au conjoint par le défunt, la libéralité s’impute sur les droits légaux du conjoint qui sont d’un quart en pleine propriété, la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l’article 843 du Code civil lui étant inapplicable.
En l’espèce un défunt laisse pour lui succéder son épouse et ses deux filles, issues d’un précédent mariage, et en l’état d’un testament authentique instituant son épouse légataire à titre particulier d’une maison d’habitation, des meubles s’y trouvant et d’une certaine somme d’argent. Les héritières s’opposent sur l’étendue des droits de l’épouse du défunt.
L’arrêt d’appel (CA Toulouse, 5 nov. 2019) dit que la libéralité dont l’épouse bénéficie s’impute sur ses droits légaux qui sont d’un quart en pleine propriété.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel.
Il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6. Dès lors, la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l’article 843 du Code civil lui est inapplicable.
Modalités d’appréciation de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien des enfants
FAMILLE
Dans un arrêt rendu le 12 janvier 2022, la Cour de cassation rappelle les modalités d’appréciation de la prestation compensatoire (PC) ainsi que de la contribution à l’entretien et à l’éducation (CEE) des enfants après la séparation du couple parental.
En l’espèce, un jugement fixe à 9 600 € le capital dû par l’époux à l’épouse au titre de la prestation compensatoire et à 200 € sa contribution mensuelle globale d’entretien des enfants.
L’époux interjette appel et produit, en seconde instance, des pièces faisant état de dettes et de charges, diminuant ses capacités contributives.
La cour d’appel confirme néanmoins la décision du juge aux affaires familiales (JAF) et maintient les deux montants.
L’époux se pourvoit en cassation.
Dans un arrêt de cassation partielle, rendu sous trois principaux visas (C. civ., art. 270 et 271, pour la prestation compensatoire. – C. civ., art. 371-2, pour la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants), la première chambre civile énonce des points déjà tranchés :
- pour fixer la PC, le juge se place à la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée ; en cas d’appel général d’un jugement de divorce, la décision ne peut passer en force de chose jugée, sauf acquiescement ou désistement ;
- pour fixer la CEE, le juge doit se placer au jour où il statue pour apprécier les ressources des parents.
Partant, il appartenait à la cour d’appel de rechercher si la situation financière de l’époux n’avait pas évolué depuis le jugement de divorce.
La Cour de cassation précise un dernier point relatif à la compétence. Lorsque la résidence de l’enfant est fixée au domicile de l’un des parents, le JAF statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent (C. civ., art. 373-2, 373-2-1 et 373-2-9). Il n’a pas à s’en remettre à la décision prise par le juge des enfants dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative.
Clause d’indexation du loyer comportant une stipulation prohibée
BAIL COMMERCIAL
Dans une décision du 13 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a énoncé qu’est réputée non écrite toute clause d’indexation du loyer ne jouant qu’en cas de variation à la hausse de l’indice de référence.
Une société donne en location à une autre des locaux à usage commercial. Le contrat comporte une clause d’indexation annuelle du loyer stipulant que celle-ci ne s’appliquera qu’en cas de variation à la hausse de l’indice de référence. La locataire assigne la bailleresse en annulation de la clause d’indexation, restitution des sommes payées au titre de celle-ci et remboursement d’honoraires et de divers frais.
La cour d’appel (CA Versailles, 5 nov. 2020) condamne la bailleresse à payer à la locataire la somme de 315 530,76 € TTC au titre des sommes versées indûment selon indexation, avec intérêts au taux légal.
L’arrêt d’appel est partiellement cassé. La cour d’appel a exactement retenu que la clause d’indexation excluant toute réciprocité de la variation en prévoyant que l’indexation ne s’effectuerait que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse contrevenait aux dispositions de l’article L. 145-39 du Code de commerce et devait être réputée non écrite par application de l’article L. 145-15 du même code. En effet, d’une part, le propre d’une clause d’échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l’indexation. Et, d’autre part, la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d’atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu’il résulterait de l’évolution réelle de l’indice.
Mais, pour réputer la clause d’indexation non écrite en son entier, l’arrêt retient que l’intention du bailleur était d’en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l’indivisibilité de celles-ci et empêchant d’opérer un choix entre elles pour n’en conserver que certaines. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 145-39 du Code de commerce.
Nature de l’indemnité d’occupation due au propriétaire par l’acquéreur évincé à la suite de l’annulation d’un contrat de vente
NOTAIRE
Dans une décision du 5 janvier 2022, la première chambre civile a énonce qu’il résulte de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil qu’ouvre droit à réparation le dommage en lien causal direct et certain avec la faute imputée au notaire, et que l’indemnité d’occupation due au propriétaire par l’acquéreur évincé à la suite de l’annulation d’un contrat de vente est la contrepartie de l’occupation du bien et ne constitue pas un dommage.
Par acte du 10 avril 1987, deux époux vendent un bien immobilier en viager consistant en une maison d’habitation. En 1999, le vendeur assigne les propriétaires en résiliation de la vente, en invoquant une inexécution de leurs obligations contractuelles. Un arrêt du 17 mars 2003 prononce la résiliation de la vente. Par acte reçu le 27 octobre 2003, le vendeur cède la nue-propriété du bien, moyennant le paiement d’une rente viagère à un tiers acquéreur. Le vendeur décède le 21 octobre 2004. À la suite de la cassation de l’arrêt du 17 mars 2003, la cour d’appel de renvoi rejette la demande en résiliation de la vente. Les propriétaires agissent alors en revendication de la maison et un arrêt du 15 octobre 2012 déclare la vente consentie en 2003 inopposable aux propriétaires, ordonne l’expulsion de l’acquéreur et condamne celui-ci à leur verser une indemnité d’occupation. Le 9 juillet 2015, l’acquéreur assigne le notaire en responsabilité et indemnisation.
L’arrêt d’appel (CA Bordeaux, 26 nov. 2019) rejette ces demandes.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel. Après avoir relevé que le notaire avait commis une négligence en ne s’inquiétant pas de savoir si l’arrêt du 17 mars 2003 ayant prononcé la résiliation de la vente consentie aux propriétaires était ou non frappé de pourvoi en cassation, la cour d’appel a retenu que la valeur actuelle du bien, dans lequel l’acquéreur soutenait avoir effectué des travaux de rénovation et d’installation, ne présentait pas de lien de causalité avec cette négligence, que l’acquéreur ne justifiait pas avoir effectué de tels travaux et versé des sommes aux propriétaires et qu’à supposer qu’il ait effectivement engagé certaines sommes, leur règlement constituait soit la contrepartie de l’occupation du bien, soit était lié aux améliorations apportées dont il pouvait demander le remboursement au vendeur ou aux propriétaires. Elle a pu en déduire que les demandes de dommages-intérêts formées à l’encontre du notaire doivent être écartées.
Le délai biennal de la garantie des vices cachés : forclusion ou prescription ?
CONSTRUCTION
Dans une décision du 5 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est demandé si : La suspension de la prescription que prévoit l’article 2239 du Code civil pendant la durée d’une expertise judiciaire s’appliqua au délai de 2 ans de l’action en garantie des vices cachés ?
En l’espèce, après l’acquisition d’une maison le propriétaire s’est aperçu que l’installation d’assainissement non collectif de celle-ci était incomplète et polluante, l’acheteur demanda en référé une expertise. Or, celui qui découvre un vice caché dispose, aux termes de l’article 1648, alinéa 1er, du Code civil, d’un délai de 2 ans pour intenter une action rédhibitoire. Et nul ne conteste que ce délai soit interrompu par une demande en justice, et ce, jusqu’au prononcé de la décision – ici l’ordonnance de référé désignant l’expert – par application des articles 2241 et 2242 du Code civil qui jouent pour « le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ». La difficulté apparaît ensuite…
L’expert, désigné par une ordonnance de référé le 24 juillet 2013, ne déposa son rapport que le 20 novembre 2015 et l’acheteur intenta son action au fond contre le vendeur courant 2016. Sa demande en résolution pour vice caché fut déclarée irrecevable en appel, au motif que le délai d’exercice de l’action était expiré. La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi fondé sur la suspension de la prescription extinctive, l’a rejeté au motif que la cour d’appel avait à bon droit appliqué les règles attachées au délai de forclusion.
L’auteur se demande si dès lors, faut-il, comme le pourvoi, considérer que le délai est suspendu en vertu de l’article 2239 du Code civil jusqu’à la remise de son rapport par l’expert – soit, ici, le 20 novembre 2015 -, auquel cas le délai de 2 ans ne peut à nouveau courir qu’à partir de ce jour et ne devait expirer en l’espèce que le 20 novembre 2017, rendant l’action intentée en 2016 recevable ? Un tel raisonnement suppose de qualifier le délai de l’action en garantie des vices cachés de délai de prescription puisque c’est à ce seul type de délai que s’applique l’article 2239 du Code civil.
Ou bien ne s’agit-il que d’un délai de forclusion, ce qu’affirme la Cour de cassation dans l’arrêt du 5 janvier 2022 en approuvant la cour d’appel (CA Rennes, 1re ch., 15 sept. 2020) d’avoir « énoncé, à bon droit, que le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l’action résultant de vices rédhibitoires, prévu par l’article 1648 du Code civil, est un délai de forclusion », écartant ainsi l’article 2239 du Code civil (pour la non-application de ce texte aux délais de forclusion, V. Cass. 3e civ., 3 juin 2015, n° 14-15.796 : JurisData n° 2015-013040) ? Dès lors, la mesure d’instruction ne suspend pas le délai, si bien que le demandeur qui a agi plus de 2 ans après l’ordonnance de référé, se trouve forclos.
En pratique, l’acquéreur aura tout intérêt à rester en éveil dès l’expert désigné et prendre le soin d’interrompre à nouveau le délai, par l’introduction d’une demande au fond, avant l’expiration du délai de 2 ans depuis la désignation de l’expert, quand bien même l’expertise ne serait pas terminée…
- DOCTRINE ADMINISTRATIVE
Frais bancaires de succession excessifs : quelles solutions ?
SUCCESSION-PARTAGE
Un parlementaire a interpellé une nouvelle fois le Gouvernement sur la délicate question des frais bancaires prélevés par les banques à l’occasion du règlement des successions.
Le ministre de l’Économie rappelle que le Gouvernement a obtenu « des avancées significatives en la matière, notamment avec l’introduction depuis 2018 d’un plafonnement des frais d’incident bancaire pour les plus fragiles ». Les différentes mesures mises en œuvre ces dernières années permettent, selon lui, ainsi aux consommateurs « de disposer d’informations préalables sur les services et les tarifs proposés par chaque établissement, notamment sur les frais de succession ».
Il précise que « faire jouer la concurrence reste le moyen d’agir sur le niveau des prix pratiqués par les établissements lorsque ces prix ne sont pas réglementés », mais se dit toutefois « conscient des difficultés engendrées par les frais précités et a demandé à la Direction générale du Trésor, en consultation avec la communauté bancaire et toutes les parties prenantes intéressées, d’examiner des pistes de réforme en la matière ». Ainsi, une réunion du Comité consultatif du secteur financier, qui s’est tenue sur le sujet le 16 février 2021, a prévu de lancer des travaux pour faire évoluer certaines pratiques.
Il réitère la détermination du Gouvernement « à ce qu’une solution soit rapidement dégagée ».
Mise en pratique du nouveau prélèvement compensatoire
Etude rédigée par Nathalie Levillain diplôme supérieur du notariat
Succession
Accueilli de façon très critique par la doctrine, le nouveau droit de prélèvement compensatoire codifié à l’article 913, alinéa 2 du Code civil doit néanmoins être mis en pratique par les notaires. Se posent alors plusieurs questions dans les successions internationales dans lesquelles il est susceptible d’être mis en œuvre : compte tenu de la loi applicable à la succession, le droit de prélèvement s’applique-t-il ? Dans l’affirmative, comment le calculer ? Sur quels biens peut-il s’exercer ? Selon quelles modalités ? La loi étant imprécise sur plusieurs de ces points, le présent article tente de proposer des réponses à ces questions.
Application de la loi dans le temps : quelles successions sont concernées par le droit de prélèvement compensatoire ?
2. – En application de l’article 24, dernier alinéa de la loi n° 2021-1109 publiée le 24 août 2021, le prélèvement compensatoire concerne les successions ouvertes à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 1er novembre 2021. Il n’est donc pas applicable aux successions ouvertes avant cette date même si elles n’ont pas été partagées, contrairement aux dispositions de la loi du 3 décembre 2001 relatives aux droits des enfants dits adultérins. Peu importe toutefois que le défunt ait consenti des libéralités avant l’entrée en vigueur de la loi. Si les conditions d’application de la loi sont satisfaites, le droit de prélèvement compensatoire pourra s’appliquer.
Quelles sont les conditions permettant de faire jouer le droit de prélèvement compensatoire ?
L’application du nouveau droit de prélèvement compensatoire est donc soumise à trois conditions en application de l’article 913 cciv. Une première condition préalable et nécessaire : l’existence de biens situés en France pour l’exercice de ce droit. En deuxième lieu, il faut un lien de rattachement avec un État membre de l’Union européenne. La troisième condition est relative aux droits accordés aux descendants par la loi étrangère applicable à la succession : le droit de prélèvement compensatoire s’applique aux successions internationales régies par le règlement européen n° 650/2012 et qui sont soumises à une loi étrangère ne permettant « aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants ».
5. – C’est sur ce point que le contentieux risque d’être important. En effet, plusieurs questions peuvent se poser. La première concerne la notion même de « mécanisme réservataire protecteur ». S’il est évident qu’une succession entièrement soumise à une loi ne connaissant aucun mécanisme protecteur pour les descendants est concernée par le prélèvement – ce qui est rare, car même les pays de common law prévoient une protection des descendants dans le besoin -, on peut s’interroger sur l’application de ce prélèvement dans des situations plus complexes. Il en est ainsi tout d’abord des pays dont le droit des successions ne protège pas tous les descendants, mais seulement ceux qui sont dans une situation particulière : « juste » prélèvement sur la succession prévu par le droit irlandais pour pourvoir aux besoins de l’enfant ou encore successibles légaux souffrant d’une incapacité de travail et démunis de ressource en droit chinois (C. civ. chinois, art. 1141). On peut se demander si le prélèvement libératoire concerne de telles situations alors qu’il est inscrit dans l’article 913 du Code civil qui concerne la réserve des descendants, laquelle n’est soumise à aucune condition. Et ce, d’autant que dans les travaux parlementaires, il était prévu « la création d’un droit de prélèvement compensatoire au bénéfice de tous les héritiers », qu’il est réaffirmé que la réserve des descendants ne se limite pas à son caractère alimentaire et que ce droit est créé en réaction à la position prise par la Cour de cassation dans les arrêts Jarre et Colombier du 27 septembre 2017. L’existence de mécanismes protecteurs conditionnés et à caractère purement alimentaire ne devrait donc pas être un obstacle à l’application du prélèvement compensatoire, d’autant que de tels mécanismes sont apparentés à un droit de créance comparable au droit à pension des ascendants ordinaires (C. civ., art. 758) ou du conjoint survivant (C. civ., art. 768) plutôt qu’à un droit de nature successorale. En d’autres termes, ces droits apparaissent comme des droits contre la succession et non pas des droits dans la succession, comme l’est le droit à réserve français.
La deuxième difficulté concerne l’application du prélèvement compensatoire aux lois prévoyant un droit à réserve discriminatoire. Si ce droit à réserve ne concerne pas tous les descendants – par exemple, le droit musulman qui ne permet pas d’hériter aux non-musulmans, y compris les descendants -, alors il ne fait aucun doute que le droit de prélèvement s’applique puisque tous les héritiers ne bénéficient pas d’un mécanisme protecteur, la règle étant par ailleurs contraire à l’ordre public international. Mais dans ce cas, l’ordre public international suffit à protéger l’héritier en écartant l’application de la loi étrangère, ce qui rend ainsi inutile l’application du droit de prélèvement compensatoire. En revanche, il ne devrait pas s’appliquer lorsque la loi prévoit un droit à réserve et que l’étendue de ce droit diffère selon le sexe du descendant, comme c’est le cas à nouveau en droit musulman, l’ordre public international prenant alors le relais pour écarter toute discrimination.
La troisième concerne l’octroi d’un droit à réserve par le jeu des règles du renvoi. Les pays de common law ne connaissent pas la réserve mais beaucoup appliquent le renvoi à la loi du lieu de situation des biens immobiliers. Dès lors que la loi applicable n’est pas choisie par le défunt, le renvoi s’applique. Si ce renvoi permet aux descendants de bénéficier d’un droit à réserve sur les biens immobiliers situés dans un pays connaissant un tel droit, faut-il faire jouer le prélèvement compensatoire en considérant que la loi applicable à la succession ne connaît pas de mécanisme réservataire protecteur ? Cette question devra être tranchée par les tribunaux.
Sur quels biens s’exerce le droit de prélèvement compensatoire ?
Le droit de prélèvement compensatoire s’exerce « sur les biens existants situés en France au jour du décès ». À défaut de distinction opérée par la loi, il s’agit de biens de nature tant immobilière que mobilière, à condition qu’ils se trouvent sur le territoire français. Contrairement à l’ancien droit de prélèvement prévu par l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, le texte nouveau ne vise que « les biens existants situés en France » et non pas « les biens situés en France ». Cela inclut les biens légués car à défaut, en cas de legs universel par exemple, le droit de prélèvement serait réduit à néant. Toutefois, lorsque le droit de prélèvement compensatoire s’exerce sur des biens légués, cela conduit à réduire les legs, l’exercice du droit de prélèvement ayant par ailleurs toujours été analysé en une action en réduction.
Comment déterminer le montant du prélèvement ?
Le montant du prélèvement doit correspondre à la réserve du descendant calculée comme si la succession était en totalité régie par la loi française. Il semble à l’auteur qu’il faille s’inspirer de la même démarche que celle appliquée pour l’ancien prélèvement compensatoire. Cette méthode comprend plusieurs étapes.
Tout d’abord en déterminant les droits de chaque héritier réservataire en application des règles de droit international privé puis en déterminant les droits des réservataires selon le droit français enfin il s’agit de déterminer le montant du prélèvement.
Quelles sont les modalités du prélèvement ?
Le prélèvement se fait-il en nature ou en valeur ? Le terme prélèvement pourrait laisser entendre que les héritiers réservataires peuvent prélever avant partage un ou plusieurs biens pour former leur part de réserve, et donc que le droit de prélèvement prévu par l’article 913 du Code civil devrait se faire en nature. Toutefois ce prélèvement est qualifié de compensatoire, c’est-à-dire qu’il s’agit plus d’une indemnisation sous forme de somme d’argent destinée à fournir la réserve des descendants sous-allotis. Cela est par ailleurs conforme avec la nature du prélèvement, lequel est analysé en une action en réduction, la réduction se faisant désormais en principe en valeur (C. civ., art. 924).