Jurisprudences :

Décision constitutionnelle : 

Conformité de la sanction de la méconnaissance de l’obligation d’enregistrement des transactions mettant fin à une instance relative à une autorisation d’urbanisme : Cons. const. 14 septembre 2023, n° 2023-1060 QPC : JO 15 septembre 2023 :

En résumé : le législateur, en sanctionnant le défaut d’enregistrement destiné à assurer la publicité des transactions par les dispositions de l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme, a souhaité dissuader la conclusion de celles mettant fin à des instances introduites dans le seul but d’obtenir indûment un gain financier et qu’il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d’incertitude juridique qui pèsent sur les décisions d’urbanisme et lutter contre les recours abusifs. Au regard de cet objet, l’auteur du recours dirigé contre l’autorisation d’urbanisme est dans une situation différente de celle du bénéficiaire de cette autorisation. Dès lors le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté et la disposition, ne portant non plus atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ou au droit de propriété, est conforme à la constitution.

Le Conseil constitutionnel était saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme qui prévoit que lorsqu’une transaction est conclue entre les parties à l’instance dans le cadre d’un recours dirigé contre certaines autorisations d’urbanisme, le défaut d’enregistrement de cette transaction permet au bénéficiaire de l’autorisation de solliciter la restitution de la contrepartie qu’il avait consentie, sans toutefois remettre en cause le désistement du requérant.

Il était reproché à cette disposition d’instituer une différence de traitement injustifiée entre les parties à la transaction, en méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice.

Il était également reproché qu’en privant le requérant, même de bonne foi, de la contrepartie prévue par la transaction, y compris du seul fait de son enregistrement tardif, tout en laissant définitivement acquis le bénéfice du désistement au titulaire de l’autorisation d’urbanisme, ces dispositions portaient une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif.

Il était enfin reproché une atteinte au droit de propriété en permettant au titulaire de l’autorisation d’urbanisme d’obtenir la restitution d’une contrepartie à laquelle il avait consenti.

Le Conseil constitutionnel décide qu’en sanctionnant le défaut d’enregistrement destiné à assurer la publicité des transactions, le législateur a souhaité dissuader la conclusion de celles mettant fin à des instances introduites dans le seul but d’obtenir indûment un gain financier et qu’il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d’incertitude juridique qui pèsent sur les décisions d’urbanisme et lutter contre les recours abusifs. Il considère qu’au regard de cet objet, l’auteur du recours dirigé contre l’autorisation d’urbanisme est dans une situation différente de celle du bénéficiaire de cette autorisation. Il conclut à ce que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté.

Aussi les dispositions n’interdisant pas de former un recours mais se bornent à sanctionner la méconnaissance de l’obligation d’enregistrement de la transaction par laquelle l’auteur du recours s’est engagé à se désister, elles en sont pas contraire au droit à un recours juridictionnel effectif.

Il juge enfin que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit de propriété et les déclare ainsi conformes à la Constitution.

Jurisprudences administratives : 

Distinction sous-traitant/fournisseur dans les marchés publics de travaux : CE, 7e et 2e ch. réunie, 17 octobre 2023, n° 465913, publié :

En résumé : L’action directe est ouverte aux sous-traitant et ne concerne que les prestations relatives à l’exécution d’une part du marché, à l’exclusion de simples fournitures au titulaire du marché conclu avec le maître de l’ouvrage.

Des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d’un marché déterminé ne peuvent être regardées comme de simples fournitures.

En l’espèce, la commune de Viry-Châtillon et la société S3C construction ont conclu un marché public de travaux.

Par acte spécial du 23 janvier 2013, signé par la commune le 30 janvier 2013, la société S3C Construction a confié à la société Maugin la fabrication de menuiseries, le montant maximum des sommes à régler à cette dernière, par paiement direct du maître d’ouvrage, étant fixé à 176 024,98 €.

La société S3C Construction a émis, le 14 janvier 2014, un acte spécial modificatif, signé par la commune le 2 avril 2014, réduisant le montant des sommes à la société Maugin à 135 537,68 €, correspondant aux sommes déjà servies à cette dernière.

La société Maugin a contesté les moins-values appliquées et demandé à la commune que lui soit réglé la différence. Celle-ci a rejeté sa demande et la société Maugin l’a assignée devant les juridictions administratives. La Cour administrative d’appel, par un arrêt infirmatif, a fait droit à sa demande et la commune se pourvoit en cassation.

La question se posait de savoir si la société Maugin était un sous-traitant ou un fournisseur, l’action directe en paiement n’étant ouverte qu’au premier.

En effet, le Conseil d’État considère que les décisions d’accepter une entreprise en qualité de sous-traitant et d’agréer ses conditions de paiement ne sont susceptibles d’ouvrir à celle-ci un droit au paiement direct de ses prestations que pour autant que ces prestations relèvent du champ d’application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

Celle-ci ne concerne que les prestations relatives à l’exécution d’une part du marché, à l’exclusion de simples fournitures au titulaire du marché conclu avec le maître de l’ouvrage.

Il précise alors que des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d’un marché déterminé ne peuvent être regardées comme de simples fournitures.

En l’espèce, la société Maugin avait fourni des menuiseries présentant des spécifications techniques déterminées conformément au cahier des clauses techniques particulières et fabriquées spécialement pour les besoins du marché, elle était en outre intervenue sur le chantier pour participer à leur pose. Le Conseil d’État en déduit que le contrat liant la société Maugin avec le titulaire du marché présentait le caractère d’un contrat de sous-traitance ouvrant droit à une action en paiement direct contre le maître d’ouvrage pour la part de marché dont elle avait assuré l’exécution.

CE, 8ème et 3ème ch. réunies, 25 octobre 2023, n° 472191, publié :

En résumé : la transcription sur les registres de l’état civil français d’un acte de mariage contracté par un Française à l’étranger requise pour rendre le mariage opposable aux tiers en France ne peut avoir pour effet de soumettre les époux à une imposition commune au titre d’années antérieures à celle au cours de laquelle cette transcription est intervenue. Dès lors les époux sont tenus, à défaut d’une telle transcription, de procéder à une déclaration de revenus distincte.

En l’espèce, M. A s’est marié aux États-Unis d’Amérique en 2010 avec un ressortissante française, l’acte de mariage a été transcrit sur les registres de l’état civil français en 2015.

L’administration fiscale, estimant que M. A, qui n’avait pas souscrit de déclaration de revenus en France au titre des années 2013 et 2014, était résident en France et tenu à ce titre à une obligation déclarative a engagé à son égard un examen contradictoire de situation personnelle.

M. A n’ayant pas déféré à cette invitation, l’administration l’a assujetti à des cotisations supplémentaires au titre de ces deux années.

M. A. se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État considère que pour l’application des dispositions du code général des impôts relatives à l’imposition des époux, l’article 196 bis de ce code fait obstacle à ce que la transcription sur les registres de l’état civil français d’un acte de mariage contracté par un Française à l’étranger requise pour rendre le mariage opposable aux tiers en France, puisse avoir pour effet de soumettre les époux à une imposition commune au titre d’années antérieures à celle au cours de laquelle cette transcription est intervenue.

En l’espèce, dès lors que la transcription de l’acte de mariage dans l’état civil français n’est intervenue qu’en 2015, les époux n’étaient pas soumis à une imposition commune au titre des années 2013 et 2014.

En conséquence, les déclarations (séparée/divorcée) souscrites par l’épouse de M. A au titre de ces années ne peuvent être regardées comme l’ayant été au nom des deux époux de sorte que l’administration fiscale pouvait régulièrement mettre en œuvre une procédure de taxation d’office pour défaut de souscription d’une déclaration de revenus à l’égard de M. A.

Jurisprudences civiles et commerciales : 

Prorogation de société – régime de régularisation des actes : Cass. com. 30 août 2023, n° 22-12.084, publié :

En résumé : Lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu’ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentants au moins cette majorité ont l’intention de proroger la société. Le président du tribunal n’a dès lors pas à rechercher, en application de l’art. 1844-6 du code civil, si les associés ont omis de bonne foi de proroger la société dont le terme est arrivé à échéance ni de constater l’intention unanime des associés.

En l’espèce, une société a été constituée le 12 octobre 1979 pour une durée de quarante ans expirant le 12 octobre 2019.

Saisi sur requête par un associé sur le fondement de l’article 1844-6 alinéa 4 du code civil, le président d’un tribunal judiciaire a, par ordonnance du 14 octobre 2020, constaté l’intention des associés de proroger la société et autorisé la consultation de ces derniers à titre de régularisation dans une délai de 3 mois.

L’un des associé a demandé la rétractation de cette décision. Il considérait d’une part que les associés n’avaient pas omis de bonne foi de proroger la société avant l’arrivée de son terme or cette omission de bonne foi conditionnerait la possibilité de saisir le juge aux fins de constatation de l’intention de proroger la société. Il considérait d’autre part que le président ne peut autoriser la consultation des associés à titre de régularisation que si tous les associés consentent à la prorogation.

La question se posait ainsi de savoir si dans la référence au fait que le président du tribunal peut constater l’intention « des associés » de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans le délai de 3 mois, vise l’unanimité des associés ou, si les statuts le prévoient, la majorité prévue pour leur modification.

La Cour de cassation va considérer qu’il résulte de l’article 1844-6 du code civil que lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu’ils fixent, il suffit au président du tribunal de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l’intention de proroger la société. Ce texte n’exige pas non plus au juge de rechercher les causes pour lesquelles la consultation des associés n’a pas eu lieu et n’exige dès lors pas que les associés aient omis de bonne foi de proroger la société dont le terme est arrivé à échéance pour saisir le juge.

Fixation des honoraires du notaire désigné aux fins d’élaboration d’un projet de liquidation d’un régime matrimonial et de formation de lots à partager : Cass. civ. 2ème, 21 septembre 2023, n° 21-25.456, publié : 

En l’espèce, un notaire a été désigné, par une ordonnance de tentative de conciliation du 4 avril 2019 rendue par un juge aux affaires familiales, aux fins d’élaboration d’un projet de liquidation d’un régime matrimonial et de formation de lots à partager.

Le notaire a déposé son rapport le 11 mai 2019 et a sollicité la fixation de sa rémunération par le juge taxateur.

Il reproche à l’ordonnance de limiter sa rémunération à une certaine somme excluant l’émolument applicable en cas d’élaboration d’un projet de liquidation du régime matrimonial et fixé à l’article A. 444-83 du code de commerce.

La Cour de cassation juge que le notaire, désigné au titre de l’article 255 10° du code civil ne peut prétendre à cet émolument que s’il a déposé un projet de liquidation du régime matrimonial des époux et de formation des lots à partager.

Or, en l’espèce, le juge chargé du contrôle des expertises avait indiqué au notaire, qui lui avait signalé ne pas avoir été destinataire de certaines pièces, que des pourparlers étaient en cours entre les parties et qu’il devait suspendre ses diligences. Ces pourparlers avaient d’ailleurs aboutis à un accord.

Ainsi, en dépit des éléments incomplets dont il disposait de la part d’une seule des parties et de la mise en garde du juge, le notaire avait rédigé un rapport sur la base d’éléments parcellaires.

Dès lors, le projet de liquidation rédigé par le notaire sur des bases incomplètes ne pouvait être considéré comme un projet de liquidation du régime matrimonial des époux mais seulement une ébauche de projet, insusceptible d’être taxée selon l’émolument prévu à l’article A. 444-83 du code de commerce.

Ainsi la rémunération du notaire ne pouvait être fixée selon ces dernières dispositions mais devait l’être en fonction des seules diligences qu’il avait accompli.

Régime de la résiliation d’un contrat d’architecte réputé conclu sous condition suspensive d’un prêt : Cass. civ. 3ème, 14 septembre 2023, n° 22-18.642, publié : 

En résumé : la règle selon laquelle l’engagement affecté d’une condition suspensive  sans terme fixe subsiste aussi longtemps que la condition n’est pas défaillie et ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l’une des parties ne prive pas celle-ci du bénéfice des stipulations du contrat prévoyant une faculté de résiliation unilatérale précisant que dans une telle hypothèse, le sort de la condition s’apprécie à la date de la résiliation.

En l’espèce, par contrat du 24 octobre 2017, Mme O a confié à la société DCA une mission de maîtrise d’œuvre portant sur l’aménagement de son domicile personnel et sur la mise en conformité d’un cabinet médical aux normes d’accessibilité des personnes à mobilité réduite.

Le 12 juin 2018, la société DCA a indiqué à Mme O qu’elle entendait mettre fin au contrat.

Mme O, considérant que le contrat d’architecte méconnaissant des dispositions du code de la consommation, devait être considéré comme conclu sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt destiné à financer les travaux et, celle-ci ne s’étant pas réalisé à la date de la résiliation, sollicite le remboursement des sommes versées à titre d’honoraires.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi formé par la société DCA.

Elle va considérer d’abord que le contrat en cause méconnait les règles du code de la consommation et doit être considéré comme conclu sous la condition suspensive d’obtention du prêt destiné au financement de l’opération.

Elle va ensuite considérer  que la règle selon laquelle l’engagement affecté d’une condition suspensive  sans terme fixe subsiste aussi longtemps que la condition n’est pas défaillie et ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l’une des parties ne prive pas celle-ci du bénéfice des stipulations du contrat prévoyant une faculté de résiliation unilatérale précisant que dans une telle hypothèse, le sort de la condition s’apprécie à la date de la résiliation.

Elle en conclut qu’en l’espèce, la société DCA avait résilié le contrat le 12 juin 2018, date à laquelle la condition suspensive d’obtention du prêt immobilier ne s’était pas réalisé, qu’ainsi les honoraires versés par le maître de l’ouvrage devaient être remboursés.

Garantie d’éviction et transfert d’EHPAD : Cass. civ. 3ème, 28 septembre 2023, n° 22-15.236, publié :

En résumé : L’autorisation d’exploiter un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes n’étant rattaché ni à l’immeuble, ni à son propriétaire, l’acte de vente de chambres dans une telle résidence ne comporte aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives existantes au jour de la vente. Ainsi le transfert de l’EHPAD vers un autre lieu d’exploitation ne constitue pas un fait d’éviction dont le vendeur doit garantie.

En l’espèce, une société a acquis, d’une part d’une SCI et suivant contrat de réservation, des chambres et leur quote-part des parties communs dans une résidence pour personnes âgées dépendante, et d’autre part d’une autre société, les biens mobiliers destinés à les garnir.

Le même jour la société acquéreuse a donné les biens à bail commercial pour une durée de 11 ans et 9 mois, à une société chargée de la gestion de l’établissement et de la sous-location des chambres et des résidents.

Ultérieurement les copropriétaires de la résidence ont été informés de la décision de cette dernière de transférer l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dans une nouvelle construction, seule capable d’abriter des lits supplémentaires.

La société acquéreuse, soutenant que l’utilisation de la résidence en EHPAD était une condition essentielle de son acquisition, a assigné la SCI en résiliation des ventes immobilière et mobilière aux torts des vendeurs, sur le fondement principale de la garantie d’éviction ainsi qu’en paiement de dommages et intérêts.

Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation.

Celle-ci va considérer que l’acte authentique de vente mentionnait que les biens et droits immobiliers objet de la vente étaient destinés à l’activité commerciale de loueur en meuble dans une résidence d’habitation avec services et comportait l’énonciation des autorisations administratives existantes relative à l’exploitation d’un établissement existant en EHPAD. Ce faisant l’autorisation d’exploiter un EHPAD n’était attaché ni à l’immeuble, ni à son propriétaire mais à l’établissement médico-social exploité par une tierce société.

Il en résulte que l’acte de vente ne comportait aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives au jour de la vente et le transfert de l’EHPAD ne constituait ainsi ni un trouble de fait, ni un trouble de droit à la propriété des biens cédés à l’acquéreur.

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