• ACTUALITES 

AMP, enfant sans vie, adoption, choix du nom : le modèle du livret de famille mis à jour

Un arrêté du 3 mai 2022 modifie l’arrêté du 1er juin 2006 fixant le modèle de livret de famille. – Il tient compte des évolutions législatives intervenues récemment en droit des personnes et de la famille

En moins d’un an, les lois ayant une incidence directe sur l’état des personnes et les règles de l’état civil ont été abondantes : la loi du 2 août 2021(JCP N 2021, n° 35, 1271 à 1277) relative à la bioéthique d’abord, la loi du 6 décembre 2021(JCP N 2021, n° 50, act. 1132) visant à nommer les enfants sans vie ensuite, la loi du 21 février 2022(JCP N 2022, n° 14, 1132 à 1139) visant à réformer l’adoption et, enfin, la loi du 2 mars 2022 relative au choix de nom issu de la filiation (JCP N 2022, n° 10, act. 337). Outre qu’elles renforcent l’impression d’accélération du temps législatif, ces réformes répondent aux mêmes aspirations et objectifs d’égalité, de liberté et d’autonomie dans les rapports personnels et familiaux. Celles-ci, comme d’autres réformes antérieures, contribuent aussi à faire de l’état civil non pas seulement un mode de preuve de l’état de la personne, mais également le siège juridique de l’identité sociale.

À la suite de ces lois, le cadre réglementaire de l’état civil a été adapté par le décret n° 2022-290 du 1er mars 2022, ce dernier tirant les conséquences à la fois de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées, de la possibilité de nommer les enfants sans vie et de la liberté plus étendue de changer de nom (V. à ce sujet : N. Baillon-Wirtz, Bioéthique, assistance médicale à la procréation et état civil : les apports du décret du 1er mars 2022 : JCP N 2022, n° 10, act. 332).

Dans le prolongement de ce texte, l’arrêté du 3 mai 2022 (A. n° JUSC2211771A, 3 mai 2022, modifiant l’arrêté du 1er juin 2006 fixant le modèle de livret de famille : JO 5 mai 2022, texte n° 7 ; V. JCP N 2022, n° 19, act. 552, présent numéro) met à jour le modèle de livret de famille

Comme le décret du 1er mars 2022, le présent arrêté prend acte des mesures portant extension de l’AMP aux couples de femmes et des dispositions réformant l’adoption, le statut des enfants nés sans vie et le choix du nom issu de la filiation.

 

L’extension de l’assistance médicale à la procréation

Pour le cas des couples de femmes ayant eu recours à une AMP avec tiers donneur et ayant établi une reconnaissance conjointe anticipée, la femme qui a accouché est inscrite en premier sur le livret de famille (à la rubrique relative aux extraits des actes de naissance des parents à l’égard desquels la filiation est établie) et l’autre femme en second. Mention est également faite de la reconnaissance conjointe anticipée (date de la reconnaissance, identité du notaire et lieu de l’office) sur l’extrait de l’acte de naissance de l’enfant.

La partie informative du livret de famille relative à la filiation est aussi complétée des principales dispositions issues de la loi du 2 août 2021

Les modalités de remise de la copie authentique de la reconnaissance conjointe anticipée telles que prévues aux articles 342-11 et 342-13 du Code civil, sont précisées : « la reconnaissance conjointe anticipée est remise par l’une des deux femmes ou, le cas échéant, par la personne chargée de déclarer la naissance à l’officier de l’état civil, qui l’indique dans l’acte de naissance ». « En cas d’absence de remise de la reconnaissance conjointe anticipée, celle-ci peut être communiquée à l’officier de l’état civil par le procureur de la République à la demande de l’enfant majeur, de son représentant légal s’il est mineur ou de toute personne ayant intérêt à agir en justice ».

Concernant le choix du nom de famille de l’enfant dont la filiation est établie par reconnaissance conjointe anticipée, le livret de famille informe qu’il peut être fait « au plus tard le jour de la déclaration de naissance », les deux femmes pouvant attribuer « soit le nom de l’une d’elles, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par elles dans la limite d’un nom de famille pour chacune d’elles ». En l’absence de déclaration conjointe de choix du nom à l’officier de l’état civil, « l’enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille de chacune d’elles, accolés selon l’ordre alphabétique. Le nom dévolu au premier enfant vaut pour les autres enfants communs ».

 

L’inscription du nom de l’enfant sans vie

L’arrêté du 3 mai 2022, comme le décret du 1er mars 2022, prend acte du nouveau dispositif issu de la loi du 6 décembre 2021 qui offre aux parents d’un enfant sans vie la possibilité de lui attribuer, en plus d’un prénom, un nom de famille (C. civ., art. 79-1). Bien que très attendue des parents endeuillés, la mesure est avant tout symbolique ; elle n’emporte aucun effet juridique, l’enfant étant dépourvu de la personnalité juridique et, en conséquence, d’une filiation. Cela implique, comme le précise dorénavant la partie informative du livret de famille, que l’indication d’un nom pour l’enfant sans vie n’a « aucune incidence en matière de dévolution du nom pour les enfants suivants ».

 

Est en revanche toujours en suspens la difficulté (qu’il eût été préférable d’anticiper dès l’élaboration de la loi du 6 décembre 2021) relative à l’établissement d’un acte d’enfant sans vie pour le cas d’un enfant mort-né d’un couple de femmes ayant réalisé une AMP. En désignant le « père » et la « mère » de l’enfant né sans vie, l’article 79-1 du Code civil modifié laisse supposer qu’un tel acte ne pourrait pas être établi dès lors qu’il mentionnerait deux mères. Au contraire, le modèle de livret de famille, en usant du terme générique « parents », n’exclurait pas cette possibilité. Mais cette interprétation ne saurait suffire et il faudrait de nouveau légiférer puisqu’il n’est pas ici question de filiation. En conséquence, les articles 6-1 et 6-2 du Code civil qui proclament l’égalité, sauf exceptions, des parents et enfants au regard du droit de la filiation, ne peuvent s’appliquer.

 

Les informations relatives à l’adoption

Concernant l’adoption, l’arrêté du 3 mai 2022 adapte le modèle du livret de famille aux apports principaux de la loi du 21 février 2022. La partie informative est ainsi amendée et enrichie de la précision selon laquelle l’adoption peut être demandée non plus « par deux époux lorsque le mariage dure depuis plus de deux ans ou lorsque les deux époux ont plus de 28 ans », mais désormais « par deux époux, partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou concubins lorsque la communauté de vie dure depuis plus d’un an ou lorsque les deux membres du couple ont plus de 26 ans ». 

 

Le changement du nom de famille

La loi du 2 mars 2022 relative au choix de nom issu de la filiation entrera en vigueur le 1er juillet 2022. L’état civil sera ainsi laissé un peu plus à la disposition des personnes qui souhaitent bénéficier d’une certaine malléabilité des éléments de leur état.

 

Dans le prolongement de la loi du 18 novembre 2016, qui autorise toute personne à demander à l’officier de l’état civil dépositaire de l’acte de naissance de substituer au nom y étant inscrit le nom acquis dans un autre État, la loi du 2 mars 2022 assouplit les règles sur le nom d’usage et simplifie la procédure de changement du nom de famille. Le changement de nom jusque-là autorisé par décret (C. civ., art. 61) pourra dorénavant être effectué une seule fois par une simple déclaration en mairie devant l’officier de l’état civil du lieu de résidence ou de naissance. Cette nouvelle procédure s’adresse aux personnes majeures qui souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis à la naissance (ou les noms accolés des deux parents dans l’ordre souhaité), qu’il s’agisse du nom d’usage ou du nom de famille.

 

S’agissant du nom de l’enfant mineur, le ou les parents exerçant l’autorité parentale pourront aussi adjoindre, à titre d’usage, le nom de celui qui ne lui a pas été transmis à sa naissance. En cas de désaccord, le juge aux affaires familiales pourra être saisi, et dans tous les cas, le consentement personnel de l’enfant de plus de 13 ans sera requis.

 

Pour anticiper l’entrée en vigueur le 1er juillet 2022 de la loi du 2 mars 2022, l’arrêté du 3 mai 2022 insère dans la partie informative du livret de famille relative au « nom des enfants », une brève description des règles concernant le nom d’usage de l’enfant mineur, et prévoit que le livret de famille est complété par la mention du changement de nom de famille.

 

Mesures diverses

Place de l’enfant dans la fratrie. – Le livret de famille devra désormais indiquer la place de l’enfant dans la fratrie (premier, deuxième, troisième, etc.) en tenant compte de sa date de naissance et, pour l’acte d’enfant sans vie, de la date de l’accouchement.

 

Réaliser le projet de plan pluriannuel de travaux en copropriété

Un décret du 25 avril 2022 précise la liste des compétences dont doit justifier la personne qui réalise un projet de plan pluriannuel, pour lui-même, pour ses employés ou pour des associés ou membres du groupement lorsqu’il s’agit d’une personne morale ou d’un groupement doté de la personnalité juridique. Il détermine par ailleurs le niveau de qualification requis : diplôme, titre professionnel, certification de qualification professionnelle ou inscription au tableau d’un ordre professionnel. Enfin, il détermine les garanties exigées notamment en termes d’impartialité ou d’indépendance vis-à-vis du syndic de la copropriété, des fournisseurs d’énergie et des entreprises intervenant sur l’immeuble et les équipements sur lesquels porte le projet de plan pluriannuel de travaux.

Qualifications du professionnel en charge des audits énergétiques et éléments contrôlés

Un décret du 4 mai 2022 précise les qualifications et compétences dont les professionnels doivent justifier pour pouvoir effectuer l’audit énergétique rendu obligatoire par le Code de la construction et de l’habitation pour certains logements très consommateurs d’énergie (CCH, art. L. 126-28-1). Il détermine également l’étendue de la mission et la responsabilité de ces professionnels, ainsi que la durée de la validité de cet audit énergétique.

Le décret entre en vigueur le 6 mai 2022. Il précise que les logements soumis à l’audit énergétique mentionné à l’article L. 126-28-1 du CCH sur le territoire métropolitain sont ceux dont la promesse de vente ou, à défaut, l’acte de vente, est signée à partir du 1er septembre 2022 pour les logements des classes F et G, à partir du 1er janvier 2025 pour les logements de la classe E et à partir du 1er janvier 2034 pour les logements de la classe D.

Par ailleurs, un arrêté du même jour définit le contenu de l’audit visé à l’article L. 126-28-1, notamment l’estimation de la performance énergétique du bâtiment et les propositions de travaux devant permettre une rénovation performante au sens de l’article L. 111-1 du CCH.

• L’arrêté entre en vigueur également le 6 mai. Il permet la réalisation des audits énergétiques dont il définit le contenu pour les logements mentionnés à l’article L. 126-28-1 dont la promesse de vente ou, à défaut, l’acte de vente, est signé à partir du 1er septembre 2022 pour les logements des classes F et G, à partir du 1er janvier 2025 pour les logements de la classe E et à partir du 1er janvier 2034 pour les logements de la classe D.

 

Déontologie et discipline des officiers ministériels : voici les chambres de discipline

Un arrêté du 22 avril 2022 désignant les chambres de discipline instituées en application de l’article 11 de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 (V. JCP N 2022, n° 17, act. 493) relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels est publié. Il fixe la localisation et le ressort des chambres de discipline des commissaires de justice et des notaires.

• Entrée en vigueur : le 1er juillet 2022.

 

Évaluation des actifs immobiliers de contrats d’assurance sur la vie ou de capitalisation se référant à des unités de compte

Un arrêté du 20 avril 2022 modifie les conditions d’évaluation sur la base de la valeur de réalisation des biens immobiliers détenus par les sociétés d’assurance, les mutuelles, les institutions de prévoyance aux fins de l’établissement des états comptables de ces organismes.

L’arrêté vise à supprimer, pour les contrats en unité de compte, l’obligation de certification par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) des experts auxquels ont recours les assureurs pour la valorisation des immeubles. Cette valorisation doit être effectuée au prix qui serait obtenu dans des conditions normales de marché.

 

  • DOCTRINE ADMINISTRATIVE

Précisions sur la définition des bénéfices de l’exploitation agricole

Élargissement de la définition des bénéfices agricoles. – L’article 12 de la loi de finances pour 2022 a élargi la définition des bénéfices agricoles afin d’y intégrer les revenus des actions, réalisées par des exploitants relevant des BA sur le périmètre de leur exploitation, qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes dont la société tire des avantages. Ces dispositions s’appliquent à l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2021 et des années suivantes (CGI, art. 63, al. 8. – L. n° 2021-1900, 30 déc. 2021, art. 12, de finances pour 2022 : JO 31 déc. 2021, texte n° 1 ; Dr. fisc. 2022, n° 3, comm. 63 ; JCP N 2022, n° 5, 1059 et s.).

 

  • PROJETS, PROPOSITIONS ET RAPPORTS 

Contrats d’assurance-vie et devoir de conseil auprès des clients en difficulté

À la suite de plusieurs contrôles sur place, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a relevé des défaillances en matière de commercialisation de contrats d’assurance-vie auprès de clients financièrement fragiles ou en difficulté. Ces contrats sont susceptibles d’aggraver leur situation financière, dès lors qu’ils ne disposent pas d’une épargne de précaution pour faire face à leurs besoins de trésorerie de court terme. Ils peuvent ainsi être exposés à des frais d’entrée et de gestion particulièrement pénalisants s’ils sont contraints de racheter rapidement leur contrat d’assurance-vie par manque de liquidités, alors que ces contrats ont vocation à constituer une épargne stable de long terme. De plus, lorsque les contrats sont adossés à des unités de compte, une allocation à caractère risqué ne peut pas être adaptée aux besoins de clients dont la situation financière est fragile au moment de la souscription. En effet, cette situation ne permettrait pas d’absorber d’éventuelles pertes en capital.

L’auteur invite les professionnels dont les notaires à alerter leurs clients dans cette situation lorsqu’il souhaite recourir à un contrat d’assurance vie.

 

  • IMMOBILIER 

Actes courants et techniques contractuelles

« Les actes courants et les techniques contractuelles » constituent le quotidien du notaire. Catégorie transversale, elle amène à aborder tant le droit commun des contrats que le droit des contrats spéciaux, le régime des obligations ou des questions plus spécifiques se rapportant par exemple au droit de l’environnement. Cette chronique propose une analyse des principaux textes et des principales décisions entre janvier 2021 et février 2022.

La première partie de cette chronique se rapporte essentiellement à la conclusion et à la formation des actes juridiques. Les contrats préparatoires notamment, autour desquels s’articulent des problématiques récurrentes de l’activité notariale, constituent une source intarissable de contentieux Note 1 .

 

1. Conclusion et formation des actes juridiques

A. – Naissance des obligations civiles

Offre et acceptation : théorie de la réception. – Même s’il ne s’agit que d’un arrêt d’espèce inédit, la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 a un grand intérêt pratique. Souvent le notaire est au cœur d’une querelle entre pollicitant et destinataire de l’offre. L’offre est le plus souvent assortie d’un délai au-delà duquel toute acceptation devient impossible en raison de la caducité de la pollicitation. Cependant, doit-on tenir compte pour la formation définitive du contrat du jour où l’acceptation est expédiée (théorie de l’émission), ou du jour où elle est réceptionnée (théorie de la réception) ? Si l’ordonnance du 10 février 2016 a fait clairement le choix de la théorie de la réception (C. civ., art. 1121), rien de tel dans la jurisprudence antérieure toujours hésitante et se référant à un vieil arrêt de 1981 appliquant la théorie de l’émission ( Cass. com., 7 janv. 1981, n° 79-13.499 : JurisData n° 1981-700112 ; Bull. civ. IV, n° 14 ). Par cette décision du 6 janvier 2021, la Cour de cassation franchit un nouveau pas et se fonde sur la théorie de la réception. Ainsi, l’offre prévoyait un « engagement » du pollicitant jusqu’au 9 janvier 2015 à 24 heures. Si l’acceptation par courriel a bien été expédiée le 9 janvier à 23 heures, elle n’a été réceptionnée que le lendemain 10 janvier à 5 heures du matin. Sans ambiguïté, les juges ont considéré que l’offre était caduque, le contrat n’étant pas formé tant que l’acceptation n’est pas parvenue à son destinataire. Il convient cependant d’être prudent. L’arrêt a été rendu sous l’empire du droit « ancien » et constitue un arrêt inédit. Il constitue cependant un argument de poids en cas de différend entre des parties qui auraient une fâcheuse tendance procédurière.

Conseil pratique :

Même si la pratique n’est pas répandue, il paraît opportun pour les études qui ont également une activité de négociation immobilière d’établir des contrats-cadres organisant la période de l’échange des consentements, accord qui rappellerait les principes et en fixerait les modalités.

 

B. – Droits de préemption et droit de préférence

4. – Droit de préemption du preneur commercial : éclairages. – Plus de doute désormais : le droit de préemption du preneur commercial (C. com., art. L. 145-46-1) est d’ordre public (il ne joue cependant pas en cas de vente de gré à gré dans le cadre d’une liquidation judiciaire, Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174 : JurisData n° 2022-004415 ; JCP N 2022, n° 13, act. 426) et aucune clause ne peut l’évincer (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-14.605, FS-P+B+I : JurisData n° 2018-011180 ; JCP N 2018, n° 39, 1291, note J. Lafond ; JCP G 2018, 984, note Ch. Gijsbers ; Loyers et copr. 2018, comm. 201, note Ph.-H. Brault). Une interrogation demeure cependant : en prévoyant que le preneur doit être informé de son droit avant que le vendeur n’envisage de vendre, le législateur a-t-il entendu prohiber tout acte préalable du vendeur que ce soit une publicité commerciale, un mandat immobilier et a fortiori une promesse de vente accordée à un tiers à la condition suspensive de non-exercice de son droit de préemption par le preneur ? La question partage la doctrine, praticiens et universitaires, certains soutenant que tout acte préalable serait désormais prohibé. Pourtant, tant sur le plan pratique que théorique, une telle analyse n’est pas justifiée. L’objectif est de préserver les intérêts du preneur et d’éviter notamment qu’il soit obligé de prendre en charge des frais de prospection d’un acquéreur, prospection qui en théorie ne devrait pas exister. Cependant, dès lors qu’il s’agit d’un droit de préemption-priorité, et non substitution, et dès lors que la défaillance rétroactive de la condition suspensive permet de faire « comme si » le contrat de promesse n’avait jamais existé, on comprend mal pour quelle raison ces actes préalables ne seraient plus autorisés. C’est cette dernière position qui semble se dégager d’un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 23 septembre 2021 ( Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-17.799, FS-B : JurisData n° 2021-014677 ; JCP E 2022, 1013, note I. Boismery ; Constr.-Urb. 2021, comm. 133, note Ch. Sizaire), confirmant la position d’une partie de la doctrine (M. Mekki (dir.), Actes courants et techniques contractuelles : JCP N 2019, n° 21, 1201, spéc. n° 9, obs. M. Mekki ; JCP G 2018, 984, obs. Ch. Gijsbers) : « La cour d’appel a exactement retenu que, la notification de l’offre de vente ayant été adressée préalablement à la vente, l’association avait pu confier à la société Immopolis un mandat de vente le 3 mars 2018, puis faire procéder à des visites du bien et que le fait qu’elle ait conclu, le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalidait pas l’offre de vente. »

Attention :

Il est vrai qu’en l’espèce seul le mandat était antérieur à la notification du droit de préemption, la promesse sous condition suspensive étant postérieure. Cependant, la formule sans réserve de la Cour de cassation, qui évoque une offre antérieure à la vente (définitive), permet de penser que la solution aurait été identique en présence d’une promesse conclue antérieurement à la notification, à condition d’être pourvue d’une condition suspensive.

 

5. – Efficacité du pacte de préférence. – Le pacte de préférence est un contrat consensuel (C. civ., art. 1102

 

9. – Faute sans causalité, obstacle à toute responsabilité. – Même lorsque la promesse aura été convenablement rédigée, la défaillance d’une condition suspensive imputable à l’acquéreur ne sera pas forcément sanctionnée. Prenons le cas ayant donné lieu à un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 1er avril 2021( Cass. 3e civ., 1er avr. 2021, n° 19-25.180, inédit : JurisData n° 2021-004763. – Cass. 3e civ., 14 janv. 2021, n° 19-24.290, inédit : JurisData n° 2021-000290 ). Une promesse de vente prévoyait sous la forme d’une condition suspensive une demande de prêt à un taux de 2,30 %. Un acquéreur avait demandé un prêt à un taux bien inférieur à ce qui avait été prévu de 1,80 %, prêt qui lui a été refusé. Pourtant, le banquier atteste que même si la demande avait été formulée avec le taux convenu de 2,30 %, la demande de prêt aurait été rejetée. La demande, manifestement non conforme à ce qui avait été convenu, n’a pourtant pas été sanctionnée. Selon la Cour de cassation, la cour d’appel « en a déduit à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée sur la réalité du motif invoqué par la banque ni à une recherche inopérante sur l’existence d’éventuels accords de prêt auxquels les acquéreurs n’auraient pas donné suite, que la condition suspensive avait défailli sans faute de la part de M. et Mme V…. ». On peut regretter que les juges raisonnent en termes de faute là où il s’agit d’un problème de lien de causalité. La faute est établie mais elle n’a pas causé le refus de prêt (rappr. Cass. 3e civ., 14 janv. 2021, n° 19-24.290, inédit : la cour d’appel « a exactement retenu que la circonstance que Mme I… n’était pas partie à la demande de prêt n’était pas de nature à établir que les consorts I… avaient empêché l’accomplissement de la promesse alors qu’il était justifié par l’avis d’imposition de M. I… et de son épouse que le couple n’avait perçu aucun revenu en 2013 et que la capacité de remboursement des consorts I… reposait sur les seuls revenus de M. B… I…. 7. Elle a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve ni être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, que la condition suspensive avait défailli sans faute des consorts I…. »). En conclure qu’il n’y a pas de faute, c’est aussi court-circuiter en amont toute clause pénale, d’où l’intérêt de distinguer faute et lien de causalité.

Conseil pratique :

Pour sanctionner la faute de l’acquéreur-emprunteur et l’inciter à respecter les termes de la promesse, la rédaction d’une clause pénale pourrait être utile. Il faudrait clairement indiquer que tout manquement de l’emprunteur-acquéreur aux termes de la promesse, indépendamment des causes du refus de prêt, pourra donner lieu au paiement de dommages et intérêts à titre punitif. Il est de bonne pratique également d’intégrer un taux d’intérêt minimum et maximum pour réduire la marge de manœuvre de l’acquéreur-emprunteur, même si en l’espèce cela n’aurait rien changé.

 

10. – La « réitération des consentements » devant notaire :- Étape fondamentale du processus de conclusion d’un contrat de vente, la « réitération des consentements » devant notaire fait encore débat. Il est acquis que le non-respect de la date de réitération des consentements n’emporte pas caducité de la promesse de vente. Elle constitue le point de départ du délai de prescription pour demander l’exécution forcée ou la résolution et/ou des dommages et intérêts (en ce sens encore, Cass. 3e civ., 4 févr. 2021). Une clause contraire pourrait faire de ce délai un terme extinctif entraînant, en cas de non-respect, la caducité de la promesse (en ce sens, Cass. 3e civ., 14 janv. 2021, n° 19-13.675 : JurisData n° 2021-000390 [a contrario] ; V. infra § 11, obs. B. Travely). Il est également de bonne pratique de préciser que cette caducité opérera soit de plein droit, soit à la demande d’une ou des deux parties. Pourtant, en combinant la jurisprudence relative au droit de la vente et l’interprétation du droit commun de la prescription, certaines décisions peuvent surprendre. Le délai censé courir à la date de réitération est le délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil qui dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Le jour de la connaissance des faits ou le jour où le créancier aurait dû avoir connaissance des faits est le point de départ de ce délai. Dans l’hypothèse d’une promesse de vente et d’un acquéreur qui ne se présente pas au jour de la réitération sans explication, on peut penser légitimement que cette date constitue le point de départ du délai de 5 ans prévu par l’article 2224 du Code civil, à moins d’établir une impossibilité d’agir (C. civ., art. 2234), ce qu’illustre un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 16 septembre 2021 ( Cass. 3e civ., 16 sept. 2021, n° 20-17.623, FS-B+C : « En statuant ainsi, après avoir relevé qu’il n’était pas discuté par les parties que les consorts [T] étaient, au moment de la réitération de l’acte de vente du 8 juillet 2008, dans un état de sujétion psychologique, ce dont il résultait que la prescription n’avait pas pu commencer à courir à cette date, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé [C. civ., art. 2234] »). Ce n’est pourtant pas ce qui a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt surprenant du 1er octobre 2020 ( Cass. 3e civ., 1er oct. 2020, n° 19-16.561 ) : « 7. En matière de promesse de vente, sauf stipulation contraire, l’expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre le droit, pour chacune des parties, soit d’agir en exécution forcée de la vente, soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice. 8. Le fait justifiant l’exercice de cette action ne peut consister que dans la connaissance, par la partie titulaire de ce droit, du refus de son cocontractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente 9. Pour déclarer l’action prescrite, l’arrêt retient que, dès le 1er mai 2010, lendemain de la date fixée pour la signature de l’acte authentique de vente, la SCI X savait que la promesse n’avait pas été réitérée et qu’elle pouvait exercer son action. 10. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser la connaissance à cette date, par la SCI X, du refus de la [société Y] de réaliser la vente, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Selon l’auteur la décision au fond n’est pas satisfaisante.  Le plus sécurisant et le plus simple aurait été de fixer un point de départ au jour de la date de réitération, dès lors que le cocontractant absent n’a pas excusé ou expliqué son absence au jour de la réitération.

Conseil pratique :

Le plus prudent serait de rédiger une clause prévoyant qu’en cas de non-respect de la date de réitération des consentements devant notaires, sans justification préalable, l’absence serait interprétée comme un refus. La clause pourrait ensuite prévoir deux hypothèses : soit il faut considérer la promesse comme automatiquement et de plein droit caduque ; soit considérer qu’il s’agit sans contestation possible du point de départ du délai pour agir en justice.

 

  • FAMILLE 

Signer n’est pas consentir expressément au sens de l’article 1415 du Code civil

Dans une décision du 29 septembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que la signature apposée par l’époux, dont le cautionnement a été annulé, à l’acte contenant initialement les cautionnements des deux époux, ne vaut pas consentement exprès au cautionnement subsistant, et ne permet donc pas, conformément à l’article 1415 du Code civil, d’engager les biens communs des époux.

La solution, en phase avec une jurisprudence reconnaissant difficilement l’existence d’un tel consentement exprès, invite les professionnels intervenant à l’acte à faire preuve d’une grande rigueur dans le recueil des consentements des époux.

 

Dans ce contexte, les auteurs conseillent aux professionnels, banque, mais aussi notaire intervenant à l’acte, de s’assurer du consentement exprès du conjoint dans les formes préconisées par la jurisprudence, à savoir une signature accompagnée d’une mention exprimant formellement ce consentement. L’arrêt invite également à étendre ce conseil au cas où les cautionnements des deux époux sont recueillis dans le même acte, pour l’hypothèse où l’un des deux cautionnements serait annulé (et malgré la suppression, par la réforme du droit des sûretés issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, de l’exigence d’une mention manuscrite strictement prédéterminée, cette hypothèse n’a rien d’hypothétique tant les cautions peuvent être déterminées à sortir d’un engagement dont elles n’ont pas toujours bien mesuré l’ampleur). Cette précaution aura également l’avantage d’assurer, au moins vraisemblablement, un acte au plus près de la volonté et de la connaissance réelles des époux.

 

Option du conjoint survivant et droit viager au logement

Dans une décision du 2 mars 2022, la première chambre civile a énoncé que l’option du conjoint survivant pour l’exercice de son droit viager au logement ne peut être déduite de son seul maintien dans les lieux où il réside au moment du décès de son époux.

 

Si la Cour de cassation n’exclut pas que la manifestation de volonté pour pouvoir bénéficier du droit viager au logement puisse être tacite, il apparaît préférable :

  • soit de mentionner dans l’acte de notoriété et/ou dans l’attestation notariée  l’option du conjoint survivant quant à l’exercice du droit viager au logement ;
  • soit, si le conjoint survivant refuse de signer ledit acte, ce refus ne faisant pas obstacle à son établissement, ou ne souhaite pas opter immédiatement, de l’y informer sur la nécessité de manifester sa volonté pour pouvoir bénéficier du droit viager au logement dans un délai d’un an courant à compter du décès.

 

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